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*** L'édito...
Sylvain Fort
juillet 2007 |
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Le lied contre le désastre Cette année, le monde a rétréci. Les glaciers alpins ont fondu un peu plus. Les catastrophes naturelles ont tué davantage. Les guerres et les massacres ont fait leur œuvre de mort au Darfour et ailleurs. Les usines ont proliféré dans des pays sans régulation, expulsant leurs fumées toxiques et mettant au travail des hordes d’esclaves, avec pour seule excuse que ces esclaves étaient auparavant des mendiants. Les armées modernes ont subi les revers du terrorisme et de la guérilla. Les villes-symboles de la civilisation occidentale ont été sillonnées de policiers armés jusqu’aux dents pour assurer la prospérité d’une frange infinitésimale de la population, sans toutefois faire reculer les fanatiques amateurs de voitures piégées. Les enfants ont été sauvés par de nouveaux remèdes et ont pu ainsi retrouver au plus vite leur console de jeux, leurs chansons de pacotille et leurs préoccupations mercantiles. Les vieillards ont persévéré vaillamment dans des vies légumineuses, offrant aux générations le spectacle d’un grand âge non plus vénérable mais redoutable. Des milliers de petits d’homme ont vu le jour, qui dans quarante ans assisteront – les bienheureux – à la submersion de Venise et à la désertification du vignoble napolitain. Le destin a frappé aux portes, amenant des bonheurs éphémères et des malheurs durablement violents. En somme, tout a été pour le mieux dans cette vallée de larmes. Au passage, on aura noté que Viktoria Mullova est tout ébaubie de jouer sur des cordes en boyaux, que Netrebko a décidément de jolies cuisses, on aura appris ce qu’est un salut à la Cyrano sous les huées et la politique de Monsieur Mortier nous aura constamment rappelés au devoir de laideur. Ainsi, les refuges ultimes auront été, de nouveau, souillés par les inconséquents, les incompétents, les charlatans, les esthètes sans âme ; les sommets purs auront encore une fois connu la profanation et le scandale ; c’est devenu une habitude, un sport, un classique… L’un s’appelle Sviatoslav Richter, russe, pianiste, un peu étrange ; l’autre s’appelle Dietrich Fischer-Dieskau, il est allemand, baryton et très particulier. Les voici dans le salon d’hiver de quelque folie rococo peinte à fresques. Dehors, le printemps resplendit, jetant sur le dallage l’ombre des feuillages. Dedans, voici Auf der Bruck, lied allègre de Schubert. Le baryton suit le pianiste, et non l’inverse. Concentration extrême et irruption flottante, lumineuse, d’un chant d’ivresse. Moment stellaire. Ce n’est qu’un exemple. Il y eut aussi Brahms chanté par Norman ou Haller. Wolf par Güra. Schumann par Seefried. Il y eut tant de lieder pour nous rappeler aux beautés du monde, aux simples et absolues sortilèges de la musique lorsqu’elle sait dire les frémissements et les abîmes de l’âme. Il y eut ce surgissement toujours neuf d’une voix nue et seule, reflétant notre propre solitude ; il y eut cette clémence du poème mêlé à la musique excusant nos faiblesses et rédimant nos heures noires ; il y eut quelques fragments d’espérance dans quelques notes répétées au cœur de la nuit. L’été, à n’en pas douter, nous ramènera les forêts incendiées – et déjà, ô symbole, le Mont Parnasse est en fumée -, les vieux déshydratés, les enfants oubliés dans des voitures étouffantes, des noyades par dizaines, des cancers de la peau en surcroissance, des familles brisées par les accidents de voiture, des alpinistes écrasés au sol, des tornades çà et là, des ouragans partout, des animaux enchaînés à des glissières d’autoroute, des petites filles violées dans les rochers. Et tous nous nous gratterons le ventre en rotant notre rosé. Non - pas tous. Certains d’entre nous seront sauvés par le lied, décidément le signe le plus insolent de notre survie. Sylvain Fort
Éditorialiste |
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