camille de rijck
novembre 2005

Dans une interview accordée récemment au quotidien Le Figaro, Bill Gates, magnat de l’informatique et grande fortune mondiale, déclare que la presse Internet prendra bientôt le pas sur la presse traditionnelle sur support papier. L’homme d’affaires américain confesse d’ailleurs que parmi ses lectures, nombreuses sont celles qui s’affichent sous forme de pixels. Une déclaration qui n’étonnera pas grand monde dans la mesure où la gratuité des quotidiens en ligne et leur grande accessibilité sont des arguments forts par rapport au coût (certes relatif) de quotidiens vendus en kiosques. Qu’en est-il dès lors de la presse spécialisée et, plus particulièrement de la presse musicale ?

On apprend aujourd’hui qu’Opéra International, véritable figure mythique en territoire de presse musicale vient d’être enterrée pour de bon par les liquidateurs du groupe de presse ECM. L’équipe du défunt magazine s’est rapidement associée à une groupe de presse pour lancer une publication nouvelle sur les cendres de l’ancienne. Sans entrer dans des spéculations de bookmaker, on peut être surpris qu’un tel projet ait si rapidement trouvé un repreneur. Opéra International, depuis le départ vénitien de son fondateur Sergio Segalini, n’avait cessé de montrer des signes d’affaiblissement éditorial. Christophe Cappacci avait bien vite dû rendre son tablier au profit d’un Richard Martet qui, malheureusement, en un seul numéro, n’avait pas eu l’occasion de faire ses preuves. Rappelons qu’Opéra Mag, lancé par le même Christophe Capacci n’avait pas connu le succès escompté et avait dû mettre la clef sous la porte après quelques numéros qui n’auront pas marqué grand monde.

Cet affaiblissement généralisé de la presse d’opéra va de pair avec l’apparition de nombreuses publications Internet. Forum Opéra, bien sûr, se distingue ainsi que ResMusica, plus généraliste, OpéraDataBase, sympathique fanzine et des forums de discussions dont le divertissant OperaGiocoso.

Or, malgré les statistiques de visites très franchement enthousiasmants de Forum Opéra, on constate que les attachés de presse de certaines maisons d’opéras continuent à voir les publications Internet comme des entreprises gauches, potaches et franchement opposées à toute notion de professionnalisme. Ainsi, notre rédacteur en chef s’est-il un jour entendu dire qu’il faudrait désormais présenter une carte de presse pour pouvoir chroniquer les spectacles d’une grande institution parisienne. Si Forum Opéra recrutait demain un journaliste spécialiste de la question du tri des déchets ménagers, auteur d’ouvrages de référence sur le classement par ordre alphabétique des boîtes de conserve et détenteur, bien sûr, d’une carte de presse, ladite institution, lui ouvrirait grand ses portes. Si par contre nous décidions de lui envoyer Sophie Roughol, journaliste musicale chevronnée, collaboratrice régulière de Classica et auteur d’un livre sur Vivaldi paru chez Actes Sud, ils lui fermeraient les portes avec un petit soupir de dédain.

Plus sérieusement, il est amusant de constater ce dédain très profondément ancré chez certains attachés de presse, souvent proches de la retraite, qui continuent à voir Internet comme un éternel terrain de jeu pour pervers sexuels. Ainsi, une attachée de presse d’une autre grande institution parisienne n’hésita-t-elle pas à déclarer froidement « de toutes façons, les sites Internet consacrés à l’opéra, ce n’est que du ramassis de pédés », sympathique, non ?

A ce jour, Forum Opéra travaille avec Xiti.com, partenaire statistique des sites Internet de La Poste, des magasins Leclerc, de Radio France, de Bouygues Telecom etc. Les chiffres que nous fournit Xiti sont les suivants : Forum Opéra compte une moyenne de 500 visiteurs individuels par jour, c'est-à-dire que vous aurez beau cliquer mille et une fois, votre visite ne sera comptabilisée qu’une seule fois, ce qui nous fait un lectorat de 15.000 personnes par mois. La durée moyenne d’une visite est de dix minutes, chiffre tout à fait exceptionnel, 50% des surfeurs qui arrivent sur la page principale du site lisant au moins un article. Quelle publication papier peut se vanter de tels chiffres ? Je n’en connais pas. Je n’en connais pas, non plus, qui offre des critiques de disques, de spectacles, des dossiers de fond, des interviews et des articles d’actualités complètement gratuitement.

Qu’est-ce qui protège, dès lors, les publications papier de la mort ? Avant tout le culte de l’objet, le syndrome du collectionneur qui entasse avec amour ses magazines, mois après mois et qui les relit amoureusement en se pâmant devant le glaçage de pages jaunies. Il y a aussi les gens qui lisent dans le train, aux commodités, dans le métro – dans ce cas, un magazine papier devient un allié de marque. Mais celui-ci doit-il coûter plus de 7 € ? Est-ce viable quand une publication de qualité offre le même contenu tout à fait gratuitement ? L’avenir nous le dira.

Évidemment Internet connaît ses dérives, ainsi, pas plus tard que cette semaine on apprit sur plusieurs forums le décès d’Elisabeth Schwarzkopf, les commentaires affluèrent et aussi les témoignages : la cantatrice légendaire aurait été admise au service pneumologie d’un hôpital suisse où elle se serait éteinte dans le calme, entourée de ses proches. Nous avons immédiatement repéré cette supercherie, qui n’a vécu sur notre site qu’une vingtaine de minutes. Hélas, la rumeur a enflé sur d’autres supports. Car dans les faits, il n’en fut rien et Elisabeth Schwarzkopf, bon pied, bon œil, poursuit son existence loin du tumulte du net. Ne serait-il pas amusant (quoique tout à fait improbable) qu’elle ait elle-même lancé cette rumeur ? Pour pouvoir, comme Charles-Quint assister aux oraisons funèbres qu’inspirerait sa vie. Que madame Schwarzkopf se porte bien et vive encore longtemps !