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la liste des enregistrements chroniqués]
Lina Pagliughi, Ferruccio
Tagliavini, Cesare Siepi / Franco Capuana
La première
« intégrale » (qui n’en était guère une) nous
sauvegarde l’exquise fraîcheur de Lina Pagliughi, au délicieux
petit timbre fruité. A ses côtés, l’Elvino plus suave qui soit,
en l’absence de Beniamino Gigli qu’il rappelle fortement :
Ferruccio Tagliavini. Il arrive curieusement à nous donner le
« Prendi, l’anel ti dono » le plus suave et le plus
chaleureux de tous, mais parfois son timbre se durcit curieusement,
ce qui était le défaut de Tagliavini, passant de Elvino à…
Mario Cavaradossi !! Automatiquement noble, pour ainsi dire,
est le « conte Rodolfo » de Cesare Siepi.
On apprécie une fois encore le sens
de la mesure et de l’équilibre du maestro Franco Capuana,
appartenant à cette légion des grands orfèvres de l’opéra
italien du XIXe siècle : Oliviero De Fabritiis, Nino Sanzogno,
Francesco Molinari Pradelli, Carlo Maria Giulini, Gianandrea
Gavazzeni, Antonino Votto, Fernando Previtali, Ettore Gracis…
Callas, Cesare Valletti / L.
Bernstein, Milano, Teatro alla Scala, 1955.
Celui qui serait tenté de
dire : « encore un Callas live ! et dans un son
parfois précaire, alors, contentons-nous de celui de Cologne au son
excellent ! », serait fort surpris de constater la
différence, flagrante, inespérée : PAS de COUPURES dans
cette représentation scaligère ! ! (ou à peine quelques
mesures "raclées" dans quelques cadences). La direction
enflammée de Leonard Bernstein surprend mais ne brusque pas l’œuvre,
le grand chef et compositeur sachant faire la différence entre
précipitation et énergie.
Un autre avantage est la présence du
grand ténor Cesare Valletti, à l’engagement passionné mais
élégant, faisant passer les sonorités parfois un peu rugueuses du
timbre… la similitude avec celui de son illustre professeur Tito
Schipa est d’ailleurs saisissante.
Callas, Monti / A. Votto, Köln,
inauguration de l’Opéra reconstruit, 1957.
On se félicitera que la prise de son
avantage les instruments au point de couvrir avantageusement Nicola
Monti… même si les violoncelles mélancoliques submergent
tellement le magnifique ensemble concertant du Finale du premier
acte, qu’ils le "donizettisent" quelque peu !
Callas, studio La Voce del Padrone
(EMI), 1957.
Cette « intégrale » bien
tailladée n’est utile que pour des amateurs répondant à ces
deux critères : fanatiques de Callas ne supportant pas l’ambiance
des enregistrements sur le vif !
Renata Scotto est toujours
supérieure à quiconque pour son phrasé exemplaire ! Son
Amina semble être la proie d’une douloureuse rêverie, alors que
Callas est trop intense, trop présente, on ne peut croire à son
sommeil ! Avec R. Scotto, on a en plus ces magnifiques
pianissimi impalpables.
Son Amina de 1971 (live à Covent
Garden) n’apporte rien à ses qualités, l’aigu est même un peu
inexorablement durci… et l’Elvino de Stuart Burrows est
exemplaire de bon chant et de goût mais c’est là son seul
charme ! son timbre « blanc » et sans chaleur ne
convient pas au rôle d’amoureux romantique aux multiples abandons
voulus par Bellini ! Solide routier du XIXe, et sachant faire
« respirer » l’opéra romantique, on retrouve avec
plaisir le Maestro Carlo Felice Cillario, insufflant un peu d’italianità
à cette représentation pratiquement anglaise, aux interprètes,
certes valeureux, mais ne limant guère les rugosités de leur
langue !
Sutherland Studio I (1962).
Cet enregistrement présente l’avantage
d’être le premier intégral, la Stupenda est vraiment
stupéfiante de perfection technique (les trilles du
« Ah ! non credea mirarti », que personne ne
fait !), Fernando Corena est un Conte Rodolfo digne mais avec
une pointe d’espièglerie bienvenue. La Lisa de Sylvia Stahlman
est l’une des rares à faire des variations dans sa
Cabaletta ! Les sonorités de l’Orchestra del Maggio Musicale
Fiorentino sont, comme toujours chaleureusement sympathiques et les
choeurs excellents, non soumis à un Bonynge trop rapide comme cela
peut arriver. Le handicap de cet enregistrement, puisqu’il y en a
un, hélas, est le pâle et difficilement supportable Nicola Monti.
Non seulement son mince timbre ne lui facilite pas les aigus,
laborieux ou évités, mais l’interprète se permet des
accentuations pseudo-dramatiques déplacées… Il était plus
nettement en forme à l’époque du studio de Callas, alors que
paradoxalement, les coupures l‘épargnaient assez.
Sutherland Studio II (1980).
La Stupenda demeure égale à
elle-même, comme si ces dix-huit années ne s’étaient pas
écoulées !
Luciano Pavarotti est un bonheur pour
des oreilles « revenant » de Nicola Monti, son timbre
éclatant de soleil, éblouit, sa générosité tourne la tête…
au point de ne pas relever certaines petites « chutes »
dans le goût, venant altérer la ligne de chant… or la ligne de
chant chez Bellini, et dans La Sonnambula en particulier, ne
pardonne pas !… mais nous, si ! Nicolaï Ghiaurov est un
Conte Rodolfo grave, sombre et vraiment noble. La direction de
Richard Bonynge est efficace.
Sutherland « live »,
Carnegie Hall, New York, 1961.
Plus à l’aise que jamais, la
stupenda se joue des tempi parfois de cavalerie du maestro Rescigno
(l’hallucinant tempo de la cabaletta finale), éblouissante de
justesse et d’expression ! Un chaleureux soupirant, Renato
Cioni, et un digne Conte Rodolfo, Ezio Flagello, l’accompagnent
dans cette électrisante soirée… non exempte de coupures, hélas.
Egale à elle-même, la Stupenda
montera avec brio dans le train que Silvio Varviso avait à prendre
(à nouveau New York, 1963), tant il lui impose une cabalette finale
rapide !
E. Gruberova / G. Gavazzeni, 1982
(Live/Radio).
L’excellence de deux protagonistes
– dont l’un ne chante pas ! - ne saurait faire un
enregistrement de référence, et pourtant, le chant, les moyens,
les possibilités d’extrapolations ou de coloratura de Madama
Gruberova étaient à leur zénith ! L’autre protagoniste, le
vétéran Gianandrea Gavazzeni, profond connaisseur de l’opéra
italien du XIXe, contribue à mettre la diva en état de grâce…
et non seulement elle, mais aussi le ténor, tout insuffisant qu’il
soit (Peter Jeffes). Il faut écouter la Stretta du Finale I, qui
« ondoie » comme jamais ! Jamais elle ne fut plus
souple, plus « douleur intériorisée »… et dire que
sous la baguette de plus d’un chef, elle sonne avec une
sécheresse brusquant la fluidité bellinienne, pourtant lyrique
jusque dans le ressentiment !
O combien sont agréables les
suraigus magnifiques et interminables dont nous gratifie Madame
Gruberova à la fin des deux actes !
E. Gruberova 1997 (Live officiel).
Mieux entourée par José Bros et le
digne mais sensible Conte Rodolfo de Roberto Scandiuzzi, Edita
Gruberova remplace son suraigu magnifique par un aigus parfois un
peu forcé mais la séduction opère, grâce à la fraîcheur
inaltérée de son timbre. L’énergie de Marcello Viotti est
condamnable lorsqu’elle devient bruit, comme dans le charmant
Arioso de Elvino (sur les paroles : « Signor Conte… »),
martelé avec une violence digne d’une charge de cavalerie, et
renforcée de cymbales jamais entendues ailleurs dans ce
passage !!
Patrizia Ciofi / Giuliano Carella,
1994.
Nuances et passions serait un beau
résumé pour cette délicieuse Sonnambula. Tous les artisans
seraient concernés par cette appréciation qui semble
contradictoire mais porte le secret de l’interprétation de ce
répertoire romantique. Dans cette exécution intégrale, le maestro
Carella insuffle une chaleur et une passion qui ne coupent jamais
les moments de pure expansion lyrique. Patrizia Ciofi et Giuseppe
Morino rivalisent de beau chant et de nuances. Le charme de cette
version Nuova Era rachète pleinement la précédente, comprenant
pourtant l’impeccable Mariella, mais dotée de choeurs calamiteux
et affligée de ces coupures détestables… et dire qu’elle
était enregistrée dans ce "Teatro Sociale di Como",
fréquenté par Bellini… donnant d’ailleurs son nom à la
rue !
L. Serra 1978 et 1988 !
Curieusement plus intéressante dans
son interprétation de 1988, Luciana Serra atteint à ce
« pathétique frais » n’appartenant qu’à
elle ! Débarrassé de toute aigreur, son timbre et sa
sensibilité font merveille pour nous dessiner une
« delicatissima » Amina.
June Anderson, Aldo Bertolo et
Giorgio Surjan au Gran Teatro La Fenice (1984).
Le reproche de langueur, de
« voix traînante » que l’on fait à June Anderson
fait merveille ici car on peut le considérer comme de l’abandon,
et c’est exactement ce que l’on attend d’une frêle jeune
fille sur le point d’épouser un fiancé chéri, et d’autre
part, quand il s’agit de la musique de Bellini, l’abandon est de
rigueur ! L’épaisseur du timbre et sa belle technique sont
évidemment à considérer et notamment dans la partie lente de
l’air final « Ah ! non credea mirarti », ou la
consistance du timbre impressionne ! Aldo Bertolo est un chaleureux
Elvino et l’on retrouve avec plaisir la consistance et la couleur
particulière de son timbre. Patrizia Dordi a parfois des duretés
dans l’émission et c’est dommage car dans la da capo de sa
cabalette, elle est l’une des rares Lise (le pluriel des noms
propres est possible en italien !) à tenter des variations
fort… variées !
Giorgio Surjan est un superbe Conte
Rodolfo, nobilissimo, et à l’autorité bienveillante vraiment
impressionnante.
Lucia Aliberti impressionne toujours
dès qu’elle émet son timbre calassien mais les problèmes de
justesse surgissent parfois, comme dans le "privé" de la
tournée du Teatro San Carlo de Naples à Wiesbaden ; son
Elvino était le chaleureux Aldo Bertolo, que l’on retrouve avec
plaisir… et que l’on regrette bien dans l’intégrale
berlinoise de "la" Aliberti, devant se contenter du pâle
John Aler… (je n’en connais que le Finale mais ses quelques
répliques suffisent). A noter, à Wiesbaden, la petite mais
regrettable coupure des cadences finales du chœur, d’autant plus
impressionnantes, que l’on attend un suraigu du soprano devant se
greffer sur elles ! Donc, vive Berlin, car tout y est… y
compris la bonne forme de la Signora concitoyenne du divin
Bellini !
A propos de cette coupure que l’on
rencontre parfois, une curiosité existe. Valeria Esposito, chantant
une série de Sonnambule à l’Opéra de Nancy, fit cette petite
cadence et un suraigu final retentissant… le connaisseur se dit,
un peu déçu : « Bon ! on n’a pas la cadence du
choeur… »… mais si !… le chœur attaque juste après,
tandis que le public nancéien, pourtant réputé réservé,
vrombit, éberlué, en applaudissements, pendants que les choeurs
continuent à chanter fortissimo, l’ensemble faisant résonner
comme jamais, la salle rococo de l’Opéra de Nancy ! Quoiqu’en
disent les puristes-snobs, tout débordement de joie d’un public,
même lorsque la musique joue, comme l’on dit, est un vrai
bonheur !
Adelaide Negri avec une belle
maîtrise son timbre étrange et comme obscurci, nous donne une
cabalette finale virtuose, avec ses suraigus hallucinants, comme d’habitude !
Airs séparés….
…Par des chanteurs inattendus dans
ce rôle !
Beverly Sills, The Vienna Akademic
Chorus, Wiener Volksoper Orchester ; dir. Jussi Jalas. Air du
premier acte (« Care compagne… Come per me sereno » -
« Sovra il sen’, la man mi posa »).
On retrouve avec un réel plaisir le
timbre rond et limpide, l’attention aux paroles, les suraigus
parfaits ajoutés de cette grande artiste… et que personne ne fait…
Une pierre précieuse !
Montserrat Caballé, Orchestre de
Barcelone, dir. Gianfranco Masini.
L’Amina inattendue de M. Caballé
nous cisèle un "leggerissimo" « Ah ! non
credea mirati… », rêveur au possible… aérien… une
petite merveille ! La cabaletta… heu… est comme
intériosée, parfois méditative… (mais l’aigu se fait coupant,
hélas).
Cristina Deutekom, Orchestra
Sinfonica di Roma, della RAI ; dir. Carlo Franci (studio
Philips).
Aria finale « Ah ! non
credea mirati » fort correct, cabaletta finale
« Ah ! non giunge » affichant sa belle technique,
avec ces curieuses sonorités surnommés « bi-ba-bo »
par les Italiens. N’apporte rien.
… Ou (tristes) échos du passé.
L’audition (fort pénible, et pas
seulement à cause des piètres techniques d’enregistrement !)
de passages enregistrés par des cantatrices du début du XXe
siècle, ne sert qu’à démontrer dans quelle décadence était
tombé le chant bellinien, aux mains de petits sopranos léger à la
pétulance pénible et au gôut détestable (notes piquées
ajoutées et insupportables). Le plus grave étant qu’elles
retiraient à ces cantilènes belliniennes leur impact dramatique.
J’avoue ne point apprécier, d’ordinaire,
Amelita Galli Curci (1917), mais qui entend Maria Barrientos (Aria
Atto I°) bénit presque la Galli Curci ! (Cavatina de l’Aria
finale). Le même passage par la pourtant célèbre Adelina Patti
donne de gros doutes sur ses réelles capacités… mais elle était
en fin de carrière en 1906, date de l’enregistrement, car née en
plein romantisme, à la même date que Maria di Rohan et Don
Pasquale (1843). A part les fautes de goût et la poussivité, l’enregistrement
a beau être précaire, il ne peut trahir la minceur du timbre…
mais de cela, nous avons assez débattu dans cet hommage à Vincenzo
Bellini !
Du côté des messieurs, on est mieux
servi… ou plutôt : Bellini est mieux servi ! Fernando
De Lucia, par exemple, offre un sensible « Prendi, l’anel ti
dono ». Un timbre corsé, des pianissimi à fleur de lèvres
relevant d’un certain maniérisme, dirait-on aujourd’hui, mais
de quoi faire honte à un Nicola Monti !
De même, Dino Borgioli (Concertato
finale I) mérite d’être connu pour son timbre « à la
Gigli » : c’est-à-dire corsé, coloré mais sachant
rester suave ! On note le suraigu-miaulement inutile final du
soprano (M. Gentile ?).
Quelques hommages, encore…
Il faudrait encore rendre hommage à
d’autres valeureux interprètes d’hier et d’aujourd’hui :
Nicolai Gedda, qui pense, chante et interprète son air de telle
façon qu’il déchaîne après son ombre de Cavatina un
applaudissement passionné, chose ne se produisant jamais, car la
première partie de son air est très brève ! Le grand ténor
y met tant d’intensité, de passion et de sentiment, tout en
restant elegantissimo… c’était là son secret !
Antonino Siragusa est un Elvino
impressionnant au Teatro S. Carlo (mars 2001), par son timbre
lumineux mais vaillant, clair mais claironnant ! Nuances
réussies et appréciables, aigu non détimbrés ajoutent à la
valeur de cette voix hors du commun, et qui avait déjà attiré
notre attention en 1998, au Teatro Donizetti de Bergame, pour se
tirer avec honneur et panache du difficile et délicat rôle de
Fernando, dans Il Furioso all’isola di San Domingo de Gaetano
Donizetti.
Jozef Kundlák, de son timbre clair
mais robuste et chaleureux, rappelle Antonino Siragusa. Avec la
direction souple et dramatique du chef Ondrej Lenárd, et l’honorable
comte Rodolfo de Peter Mikulás, il constitue tout le prix de l’intégrale
studio Opus de 1987, non exempte de coupures, hélas.
Yonel Buldrini