Roselyne Bachelot nous présente en exclusivité son nouvel ouvrage, Verdi amoureux, publié chez Flammarion, en librairie le mercredi 13 novembre.
« L’existence de Giuseppe Verdi a donné lieu à de nombreuses polémiques et je ne doute pas qu’au travers de mon récit, elles resurgiront : mais non, il n’est pas certain que Verdi ait croisé la Strepponi à Lodi, sur la route de Milan, et puis personne n’est sûr de l’épisode du clocher encerclé par les Russes, et puis Ghita n’a peut-être pas étudié à Milan, et puis… et puis… Mes amis verdiens, musicologues ou historiens, discuteront de mon analyse de sa relation avec Emanuele Muzio ou des maternités de Giuseppina. Je vous entends, mes maîtres ! Si j’ai largement puisé dans vos œuvres pour situer la chronologie et l’irruption des personnages dans la vie du grand Giuseppe, je n’ai pas eu l’outrecuidance de faire œuvre d’historienne. Vous ne trouverez pas de notes de bas de page explicatives, ni de ces renvois savants à des notices qui signalent en caractères microscopiques l’origine de la documentation et des polémiques. Par souci de transparence, j’indique la liste des ouvrages qui ont nourri ma connaissance.
Ce livre, c’est « mon » Verdi, celui que je sens, celui que je ressens en buvant un espresso sur la place des Herbes à Vérone alors que mon voisin entonne, repris par la foule qui nous entoure, l’air de Procida dans Les Vêpres siciliennes. Ce Verdi que Riccardo Muti brandit face à Berlusconi au Teatro dell’ Opera à Rome : O mia patria, si bella e perduta, et les choristes qui reprennent, enlacés et perdus de larmes, le Va pensiero qui dénonce la politique du Cavaliere en ce jour du 150e anniversaire de l’Unité italienne. Ce sont aussi tous ces enregistrements pieusement conservés et que l’on sait pouvoir retrouver chaque fois que le courage vous manque, la voix de miel de Carlo Bergonzi, ses fiati rubati inégalés, cette vaillance et ce mordant de l’attaque qui sauveront toujours Verdi de la mièvrerie. Et les souvenirs de toutes ces maisons d’opéra qui reviennent quand au détour d’une publicité pour des pâtes ou un jambon, un chœur rabâché jusqu’à la nausée nous procure toujours le même plaisir.
Oui, Verdi fait bien partie du patrimoine de chacun, même des moins férus et des moins ferrés dans l’art lyrique.
Mon Verdi m’a toujours interrogée et même interloquée. Voilà un homme qui se présente apparemment d’une manière impeccable, fils du peuple embourgeoisé par la grâce de son seul mérite, père et mari cruellement affligé, patriote engagé, musicien magique accessible à tous et révélant les trésors raffinés de son art aux plus exigeants, humaniste soucieux de venir en aide aux plus démunis. Et puis en creusant sa biographie, on est fasciné par le travail de réécriture et même — osons le mot — d’affabulation auquel s’est livré le maître, mais aussi nombre de ses proches, à commencer par sa propre mère qui ouvre le feu en mentant sur sa date de naissance !
L’image du père modèle en prend même un sérieux coup, alors que toute son œuvre est traversée par les plus belles démonstrations d’amour filial du répertoire. La magie, la tendresse, la profondeur mais aussi l’ambiguïté du sentiment qui unit un père et sa fille structurent l’œuvre de Giuseppe, d’Abigaille et Nabucco à Aïda et Amonasro en passant par Gilda et Rigoletto.
En idéalisant délibérément son parcours, Verdi a par avance autorisé que je prenne quelques libertés avec l’approche notariale de certaines biographies, il me pardonnera donc. C’est le fils, le mari, l’amant, le père que j’ai voulu chercher dans sa vie et dans sa musique, tant sa marginalité, ses inconvenances, ses légèretés nous le rendent étrangement contemporain et laissent ainsi présager des bouleversements qui transformeront profondément les rapports amoureux et familiaux, bouleversements qui continuent plus que jamais aujourd’hui. »
Extrait de Verdi amoureux par Roselyne Bachelot, éditions Flammarion. Le livre est accompagné d’un CD du texte lu par Jean-Philippe Lafont.