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Veronika Offentür : « J’ai placé près d’un million de spectateurs ! »

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Actualité
1 avril 2016

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Vous l’avez sans doute croisée, dans les couloirs du Théâtre des Champs-Elysées, dans ceux de Bastille ou de Garnier. Elle est à elle seule un pan de l’histoire lyrique européenne : Veronika Offentür, ouvreuse depuis quarante-cinq ans, dont vingt-cinq à l’Opéra de Paris, revient sur sa riche carrière, au moment de tirer sa révérence.


Vous êtes née en ancienne Allemagne de l’Est, vous avez travaillé dans les plus grands théâtres européens : comment devient-on ouvreuse ?

Je crois, dans mon cas, que l’on peut vraiment parler d’une vocation. Je suis une amoureuse des théâtres, de leur ambiance, de l’atmosphère particulière qui se dégage de chaque salle dans laquelle j’ai pu travailler. Cela se joue aussi, il me semble, dans mon enfance, dans les souvenirs qui me restent à tout jamais du bruit des porte-monnaies que l’on fait tinter bruyamment au moment de la quête à l’église. Tout cela vous reste, vous savez. Et puis, vous savez, je suis né dans une famille modeste de RDA, près de la frontière polonaise. Une famille aimante mais stricte, d’où me vient peut-être un certain amour du rangement et de l’ordre. Chez nous, chacun avait sa place ! Et en quelque sorte, je transpose cela aux générations de spectateurs que j’ai pu accompagner à leur place toutes ces années.

Je n’ai exercé qu’un seul métier dans ma vie, et voyez-vous, je ne regrette rien : on rencontre tant de personnes différentes, des artistes, des grands chefs, et tous ces anonymes. Vous savez que j’ai fait mes comptes ? J’ai commencé en 1972 à l’Opéra de Leipzig : bon an, mal an, entre les saisons d’opéra et les festivals d’été, j’ai travaillé 200 soirs par an. D’après mes calculs, j’ai placé près d’un million de personnes ! Rendez-vous compte. C’est très enrichissant.

Vous voulez dire, financièrement ?

Ah non ! Que l’on arrête avec ce mythe de l’ouvreuse surpayée. Cela reste un métier difficile, qui dépend de la générosité des spectateurs. Et on a des surprises ! Vous n’imaginez pas la radinerie des spectateurs les mieux placés. C’est étonnant pour les non-initiés, mais c’est toujours au poulailler que la moisson est la meilleure. Bien sûr, au lorsque je travaillais en RDA, une ouvreuse communiste ne pouvait pas réclamer de pourboire : c’était salaire syndical pour tout le monde. Ca n’a pas beaucoup changé, quand on y pense, dans les théâtres publics ici.

Parlez-nous de votre carrière justement. Vous avez débuté à Leipzig.

Pour être exacte, ma carrière commence plus tôt, à quinze ou seize ans, au théâtre de marionnettes de Keingeld, mon village natal. J’y ai tout appris : quand vous savez tirer une pièce d’un enfant de cinq ans, vous savez tout faire dans le métier ! (rires). J’ai d’abord entrepris des études de coiffure, à Leipzig, ma mère y tenait beaucoup. Cela me plaisait, mais déjà le soir je travaillais de temps en temps à l’Opéra. Jusqu’à ce que cela devienne mon unique activité ; je n’ai dû être coiffeuse que quelques mois. Par un concours de circonstances, j’ai eu la chance de trouver un poste ici, à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées. C’était en septembre 1973, je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais là pour la dernière apparition de Maria Callas, le 8 décembre 1973. Quel moment… Vous allez dire que je suis mégalo, mais ce soir là je me suis dit : « voilà, ma grande, c’est le crépuscule de Maria, mais c’est l’aube de Veronika ! » Vous savez, partir de RDA, c’était comme une renaissance pour moi. 

Comment se sont construits vos goûts en matière musicale ?

En arrivant à Paris, je n’avais à peu près que Bach en tête. On l’écoutait beaucoup à la maison, surtout les cantates. Je les aime toutes. Ma préférée est bien sûr « Herr, ich bin arm, gib mir meine Münze und ich werde glücklich sein » (elle entonne le choral introductif). Ensuite, je dois bien dire que mes goûts se sont calés sur la durée des œuvres. Celles que je préfère, ce sont Elektra ou Salomé : c’est court, sans entracte, on est vite rentré chez soi. Et on ne gagne pas moins ! Strauss, voilà un compositeur qui avait de la considération pour notre métier, pas comme l’autre Richard ! Ah, Wagner… Je l’ai longtemps détesté. Jusqu’à ce que je dirige une partie du Ring à Bayreuth en 76.

Parlez-nous de cet épisode peu connu.

Peu connu, c’est certain, c’est la première fois que j’en parle ! Tous les étés depuis 1974, je travaillais à Bayreuth : ça mettait un peu de beurre dans les épinards, et je me rapprochais de ma famille. 1976, c’était l’année du Ring du centenaire. J’avais bien sympathisé avec le ténor qui chantait Froh, comment il s’appelait déjà… Helmut Tel-Aviv…

Vous voulez dire, Siegfried Jerusalem ?

Oui, c’est ça, merci. Nous avions sympathisé autour d’une saucisse-bretzel. Et un soir, cela devait être la deuxième ou la troisième de l’Or du Rhin, nous étions dans les coulisses près de la fosse. En pleine représentation, Pierre Boulez piqua une colère noire, et assez étrange sur le moment. Il venait de se rendre compte – je l’ai su plus tard – que l’entrée des géants Fafner et Fasolt était calqué, à la quinte, sur l’entrée des rois dans La Belle Hélène d’Offenbach. Evidemment, dès qu’il s’en est rendu compte, il quitta le pupitre, maudissant Wagner d’avoir plagié un compositeur aussi méprisable qu’Offenbach. Je me souviens de l’avoir entendu lancer à Wolfgang Wagner, le directeur du festival : « Autant le laisser diriger par une ouvreuse ! ». Et c’est ce qui se passa : Pierre Boulez m’avait aperçu en train de bavarder avec Klaus Nazareth dans les coulisses ; il me prit le bras et me fit monter sur l’estrade. Voilà comment j’ai dirigé une quinzaine de minutes du Ring, jusqu’au retour du chef, qui s’était apaisé entre temps en lisant quelques mesures de Lulu. Evidemment, le public n’en a jamais rien su : la fosse d’orchestre est cachée à Bayreuth, comme vous le savez. Mais je crois que je ne me suis pas moins bien débrouillée qu’un autre ! Ce n’est tout de même pas sorcier. En tout cas, c’est bien moins compliqué que d’être sur scène.

En préparant cette interview, vous m’aviez effectivement dit que vous étiez monté sur scène à plusieurs reprises. C’était pour chanter ?

Non, chanter c’est bien au-delà de mes talents. Mais j’ai eu d’autres occasions de monter sur scène. Après le Théâtre des Champs-Elysées, je suis devenue ouvreuse à l’Opéra de Paris. C’était en 1991, peu après l’ouverture de l’Opéra Bastille. Je me suis surtout bien entendue avec Gerard Mortier : nous partagions beaucoup de choses, à commencer par une pointe d’accent étranger. Un soir, fin 2007, je m’en souviens très bien, il m’a pris à part entre deux portes : « J’ai trèèès bonne idée carrière pour vous, vous zallez être doublure Waltrrrauttt Meierrr ». Il se trouvait que je mesurais la même taille qu’elle, et que je pouvais lui ressembler sans trop d’efforts. Du jour au lendemain, me voilà donc propulsée en Kundry pour le IIIe acte de Parsifal ! Cela permettait à Waltraud Meier de rentrer dormir plus tôt dans son manoir hanté. J’ai beaucoup travaillé avec Krzysztof (Warlikowski, ndlr) sur le fameux « dienen… dienen ! », la seule réplique de Kundry au IIIe acte. Je ne voyais pas très bien pourquoi je devais avoir la tête dans un bidet à ce moment-là. Mais il m’a parlé de son enfance dans une démocratie populaire et j’ai très vite compris cette symbolique du bidet. Je me suis beaucoup reconnue dans ce garçon.

Après presque quarante-cinq ans de carrière, dont vingt-cinq à l’Opéra de Paris, vous prenez votre retraite à la fin de la saison 2015-2016. Vous êtes à vous toute seule un monument de Garnier et de Bastille : que vous inspire la récente affaire des cloisons ?

Je dois dire que je suis émue de quitter cette grande maison, où j’ai tant de bons souvenirs. Sur la question des cloisons, je pense que toutes les ouvreuses seraient d’accord avec moi : autant y aller franchement et toutes les retirer, nous n’aurions plus qu’une seule porte à ouvrir !

 

Propos recueillis par Maximilien Hondermarck et Clément Taillia

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