Jeune, beau, ténébreux et charmeur… Vittorio Grigolo a, en plus d’un physique, une voix qui le place aujourd’hui parmi les ténors les plus demandés. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son premier disque solo, The Italian Tenor, où l’on retrouve avec plaisir les compositeurs de son pays : Verdi, Puccini et Donizetti.
Parlez-nous de votre premier album solo : The ItalianTenor1
Cela faisait très longtemps que je souhaitais enregistrer un album classique. J’attendais d’être mentalement prêt de manière à pouvoir délivrer toutes les émotions nécessaires. Avant tout, je voulais me sentir en mesure de disposer de toutes les couleurs de ma voix. Tel un peintre devant sa toile, il me fallait la totalité de ma palette. Plus qu’un album, il s’agit d’un recueil d’airs qui sont autant de morceaux de vie. Il faut chercher l’extraordinaire dans l’ordinaire. Il y a à la fois des morceaux d’opéras très connus et d’autres moins comme Le Villi de Puccini ou encore Il Corsaro de Verdi. En fait, ce disque est une carte de visite qui représente les débuts de ma carrière. Son titre renvoie à mon pays et à ma langue maternelle, que je pratique chaque jour, avec ses accentuations, son phrasé et ses expressions. L’idée du titre – The Italian tenor – m’est venue de Sylvester Stallone qui est un ami (avant de monter sur scène, j’écoute automatiquement la musique de Rocky). Ce titre a d’ailleurs une forte connotation cinématographique.
Comment avez-vous été amené à être dirigé par Pier Giorgio Morandi et son orchestre du TeatroRegio di Parma ?
Parme était un des lieux clés de l’opéra à l’époque de Verdi. Cette ville symbolise beaucoup de choses pour moi. Quant à Pier Giorgio Morandi, c’est un ami de longue date et qui connaît très bien son orchestre. Comme je n’avais pas beaucoup de temps entre toutes mes représentations, nous étions très rapidement en symbiose pour enregistrer les différents airs.
Votre premier CD, In the hand of love, était consacré à des mélodies proches de la variété….
Tout à fait mais je n’ai pas débuté pour autant par ce que j’appelle la « Pop opéra ». J’ai vraiment commencé le chant avec l’opéra et j’ai déjà interprété plus de 35 rôles depuis mes débuts. Mon maestro me disait qu’il valait mieux faire des petits rôles dans les grands théâtres et des grands rôles dans des petits théâtres pour finir par des grands rôles dans des grands théâtres. La nouvelle génération de ténor à laquelle j’appartiens aime aussi communiquer. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de commencer avec un disque comme In the hand of love. C’était, pour moi, le moment où jamais J’aurais pu continuer sur cette voie mais j’ai préféré revenir à l’opéra. Je ne regrette absolument pas cette période. Elle m’a permis de faire le tour du monde et d’être classé parmi les meilleurs, au côté de Madonna ou Michael Jackson. Pour quelqu’un qui n’était pas connu, c’était un rêve. Je pense malgré tout continuer à communiquer avec ce langage. J’aime la musique à 360 degrés.
Votre démarche est-elle aussi de capter l’attention des plus jeunes ?
J’ai toujours eu la volonté d’ouvrir l’opéra au plus grand nombre et de l’exporter en dehors des grands théâtres s’il le faut. C’est pour cela que j’ai accepté de chanter La Traviata dans la gare de Zurich alors qu’il faisait -5 degrés ou plus récemment Rigoletto à Mantoue. Si les médias aident à mieux faire connaître l’opéra, alors on aura la possibilité de donner un peu plus de culture aux enfants et aux plus jeunes. Dans le même ordre d’idée, beaucoup ont découvert la magie de l’opéra avec Pretty Woman, lorsque Richard Gere amène Julia Roberts voir La Traviata.
De ce point de vue, vos expériences à la gare de Zurich et à Mantoue ont-elles été bénéfiques ?
Pour Rigoletto, le film a été diffusé dans plus de 140 pays… Je pense donc qu’un certain nombre de personnes qui n’étaient jamais rentrées dans un opéra ont toutefois eu la chance de découvrir une œuvre majeure du répertoire. J’espère vivement que cela leur donnera l’envie d’aller le découvrir par la suite dans un grand théâtre. Ce sont des expériences très importantes selon moi.
Pour Rigoletto, vous avez travaillé avec le metteur en scène Marco Bellocchio. L’expérience était-elle différente qu’avec un metteur en scène de théâtre ?
C’est très différent. La caméra change tout. On est beaucoup moins libre. C’est comme si l’on avait une corde à son cou. Sur scène, l’expression physique est à son maximum. Face à une caméra, il faut être plus discret. On y perçoit tous les détails, surtout depuis l’avénement du numérique. Le meilleur moyen est d’essayer d’oublier la caméra. Il faut arriver à s’échapper de cette cage dont vous êtes prisonnier. Il faut être le plus naturel possible au niveau de la gestuelle. Pour la voix, c’est encore plus difficile car il ne faut pas trop en faire, trop exagérer. Il faut être moins expressif tout en gardant la même énergie intérieure que sur scène. Marco Bellocchio a compris cela mais parce qu’il était aidé par le directeur de la photographie Vittorio Storaro qui est un grand professionnel et qui a fait la photo de nombreux films de Bernardo Bertolucci dont La Luna où il était déjà question d’opéra. Pour Rigoletto, il s’est beaucoup inspiré des peintures du Caravage et de son clair-obscur.
Ruggero Raimondi, fort de son expérience cinématographique, vous a-t-il donné des conseils (NDLR : Il jouait le rôle de Sparafucile) ?
C’est un grand ami, une personne adorable et avant tout un très grand artiste. On a fait plusieurs scènes ensemble et c’est un immense acteur. Il arrive à trouver le naturel dans chaque geste, ne serait-ce que lorsqu’il ouvre une porte. Les chanteurs n’ont malheureusement pas de formation d’acteurs ; C’est justement par leur science de l’interprétation que l’on reconnaît les plus grands artistes
Avez-vous été critiqué par certains puristes ?
Pas tant que cela. Si j’avais débuté en tant que vrai chanteur d’opéra et soudainement choisi de faire de la pop alors, oui j’aurais eu plus de problèmes. Mais maintenant, à l’âge de 33 ans et avec plus de 30 rôles à mon actif, j’ai démontré que j’étais avant tout un chanteur d’opéra et que je suis prêt à tout pour jouer un rôle d’opéra. Je pense que la nouvelle génération, puriste ou non, accepte davantage ce genre de démarche.
Roberto Alagna semble suivre le même chemin mais dans le sens inverse.
En effet. J’aime beaucoup Roberto Alagna que je connais bien mais nous ne rentrons pas en compétition car nous sommes d’une génération différente. De plus, il bénéficie d’une plus grande expérience et sa voix a davantage évolué que la mienne. Le meilleur exemple à suivre est celui de Placido Domingo qui est une vraie légende vivante. Il porte en lui la figure du père à la fois pour sa famille mais aussi pour ses admirateurs. Les expériences de la vie fabriquent les rôles que vous interprétez sur scène.
Vous avez fait des études d’affaires internationales et avez pensé devenir diplomate. A quel moment avez-vous finalement choisi de devenir ténor ?
J’ai étudié en effet science politique et j’ai toujours aimé la communication, tournée vers l’international. Je savais qu’avec le chant, je pouvais toucher davantage les gens qu’avec la simple parole. D’une certaine manière, je suis un peu diplomate dans le sens où je cours le monde et passe de scènes en scènes.
Vous avez commencé à chanter du Rossini puis avez continué avec Verdi, Donizetti et vous abordez maintenant l’opéra français avec Massenet et Offenbach.
J’adore l’opéra français et souhaite continuer, approfondir ce répertoire (Manon, Faust, Werther, Roméo et Juliette). Mon rêve d’ici 10 ans est de chanter Carmen de Bizet. Non pas comme un objectif mais, en qui concerne le répertoire français, comme un aboutissement. J’arrive à un niveau confortable où je n’éprouve aucune difficulté à chanter en français.
Propos recueillis le 9 septembre par Edouard Brane
1 Cf. la critique du disque par Christophe Rizoud