Cantates, sonates, concertos… Autant de distractions aristocratiques dans l’Italie baroque du settecento. Assujetties à la convention qui régissait le nombre, l’alternance et la nature de leurs mouvements, chacune de ces formes trouva son équilibre à l’époque de Vivaldi. Là, des règles immuables en auraient tari le jaillissement si le Prêtre roux, comme d’autres, n’avait su, sans sortir du cadre, renouveler le propos. Ainsi, la trentaine de cantates et la petite centaine de concertos laissés à la postérité évitent-elles l’écueil de la monotonie par la liberté rythmique et la générosité mélodique dont Vivaldi fait preuve en toutes circonstances.
À ces deux caractéristiques s’ajoute une troisième, également immuable mais reconnue plus tardivement à travers la redécouverte de ses opéras : la théâtralité. Si Vivaldi jamais n’ennuie, c’est qu’il insuffle à la moindre de ses partitions – ou tout au moins à la majorité – un élan dramatique auquel l’amateur d’art lyrique ne saurait rester insensible, quand bien même s’agirait-il de pièces purement instrumentales. Pour preuve, Les quatre saisons dont la force narrative a d’ailleurs fini par jouer en la défaveur du compositeur, occultant trop longtemps d’autres œuvres aussi éloquentes.
Pour preuve également, ses cantates profanes qui en une dizaine de minutes chacune parcourent inlassablement les sentes parfois caillouteuses de la carte du tendre. Ainsi, « Qual per ignoto calle » interprété par Anthea Pichanick dans cette bonbonnière qu’est le Théâtre Grévin se veut moins prétexte à virtuosité qu’introspection suppliante à une bien-aimée – Irène – dont le silence est tourment. L’expression ne doit alors pas s’effacer derrière la technique requise pour triompher d’une écriture véloce. C’est le prochain défi que relèvera la jeune chanteuse française, à l’aube encore d’une carrière prometteuse. Pour l’heure, on tombe instantanément sous le charme d’un timbre de contralto, aussi rare qu’original, dont le grain est perle, le velours duvet et l’obscurité lumière. Saisissement paradoxal renforcé par le caractère naturel de l’émission, une impression que le chant coule de source sur une longueur confortable, sans soubresauts, ni rupture. Tel Antée, que le prénom de la cantatrice évoque, géant terrassé par Héraclès qui puisait ses forces au contact de la terre, la voix trouve son appui dans le grave. Ce ne sont pas les hauteurs mais les profondeurs de la portée qu’aiment, lors des reprises, explorer des variations à la courbe toujours élégante.
Le plaisir qui, de la scène, irrigue la salle n’est cependant pas dû à la seule découverte d’une voix rare. A la tête de son ensemble Les Accents fondé il y a seulement trois ans, Thibault Noally donne à ressentir avec une aisance confondante l’ivresse vivaldienne, ce mouvement qui n’est pas agitation et dont la pulsion, comme expliqué plus haut, tient à la fusion de l’exubérance rythmique, de la puissance dramatique et de l’invention mélodique. Surtout les six instrumentistes – violons, alto, violoncelle, contrebasse et clavecin – respirent de concert sans que jamais l’on ne perçoive la maigreur qu’aurait pu laisser craindre un effectif réduit, ni l’aigreur caractéristique de trop d’ensembles baroques sous couvert d’authenticité. C’est joué ainsi qu’on aime Vivaldi.