Lili Boulanger se souvenait de l’échec de sa grande soeur Nadia au Prix de Rome, que leur père Ernest avait remporté quelques décennies plus tôt. Un échec lié à une entorse bien imprudente aux règles très strictes du concours, par laquelle elle avait voulu prendre le risque de la liberté. Les membres du jury auront tôt fait de la renvoyer à ses chères études, sans doute pas prêt à consacrer une femme. Nadia était la deuxième à l’avoir tenté depuis que le concours avait été ouvert aux femmes en 1903. Cinq ans plus tard, sa soeur Lili tente sa chance. Contrairement à Nadia, elle ne cherche pas à se distinguer, d’avant qu’elle a déjà subi un échec l’année précédente en raison de sa santé, qui ne lui a pas permis d’aller jusqu’au bout. Elle présente sa Cantate (passage obligé) Faust et Hélène le 5 juillet 1913, avec distance, sans la diriger, les yeux baissés d’un air soumis et modeste le jour de la présentation de l’oeuvre le 5 juillet 1913, au cours de laquelle sa soeur Nadia tient la partie de piano, l’oeuvre n’étant alors pas orchestrée.
Cette fois, le jury n’hésite pas. La cantate est consacrée à une majorité écrasante. Lili devient donc Premier Grand Prix de Rome, et elle est la première compositrice à le remporter, sans être la première artiste, puisque le Premier Grand Prix de Rome attribué à une femme après l’élargissement, l’avait été à la sculptrice Lucienne Heuvelmans en 1911. C’est un succès immédiat et pas seulement ! Lili Boulanger réussit le tour de force savoureux de faire la une du périodique Les Hommes du jour !
Le 16 novembre suivant, la partition, orchestrée, est présentée au public parisien aux Concerts Colonne. Le livret en est signé d’Eugène Adénis à partir du Second Faust de Goethe et la musique, qui est jugée à l’époque selon un angle très masculin, sera reprise souvent après le grand triomphe de cette courte vie. Faust et Hélène ne manque de rien, sa puissance évocatrice et sa force subjuguent encore par delà nos frontières. Elle est dédiée à sa soeur Nadia.
Un tel événement aurait dû lancer une carrière brillante et longue. La maladie et la mort en décideront autrement le 15 mars 1918. Lili avait 24 ans.
