C’est la lecture d’un fait divers qui l’a beaucoup frappé qui décide Giancarlo Menotti à écrire un nouvel opéra autour du sujet. L’article en question, publié dans le New York Times en février 1947, évoquait l’histoire d’une femme polonaise, poussée à l’exil par l’avènement du régime communiste dans son pays, et qui, cherchant à entrer aux Etats-Unis, s’était heurtée à une bureaucratie tatillonne et suspicieuse qui l’avait poussée au suicide.
Il réalise lui-même le livret, comme pour tous ses autres opéras, et en fait une oeuvre en trois actes qui se déroule au XXe siècle dans une ville européenne soumise à une dictature violente. John Sorel, un opposant politique, y est poursuivi par la police secrète. Sa femme, Magda, tente désespérément d’obtenir des visas pour fuir le pays, mais elle est confrontée, comme la jeune polonaise de réalité, à un consulat impitoyable et inhumain. Epuisée par ses tentatives infructueuses puis par la perte de son enfant et de sa belle-mère (La Mère), elle finit par envisager le suicide pour protéger son mari. Elle passe malheureusement à l’acte. L’œuvre se termine ainsi tragiquement, soulignant l’absurdité et la cruauté du système bureaucratique auquel elle s’est heurtée.
Menotti prend clairement position dans son oeuvre, qui condamne le système jugé oppressif que bien des amis du compositeur en exil depuis l’Europe lors de la Deuxième guerre mondiale ont connu. Pour illustrer ce mécanisme impitoyable, le compositeur quitte la tonalité à laquelle il n’avait pas renoncé jusqu’alors, pour multiplier les dissonances et adopter une écriture beaucoup plus difficile que dans ses autres partitions.
Conscient du caractère sulfureux de son oeuvre, alors que les Etats-Unis commencent par ailleurs tout juste à connaître un certain sénateur McCarthy, Menotti va d’abord créer son oeuvre dans le petit Shubert Theater de Philadelphie, voici juste 75 ans. Devant le grand succès que remporte son opéra, il le porte ensuite au Ethel Barrymore Theatre de New York, avec le même succès. Il recevra dans la foulée le Prix Pulitzer et reste plus actuel que jamais : difficile de ne pas faire de lien avec les réalités d’aujourd’hui à travers le monde…
Patricia Neway a créé le rôle de Magda. La voici dix ans plus tard pour une reprise télévisée de l’opéra, dans un monologue poignant et désabusé.