C’est sur une commande de la ville de Buenos Aires qu’Alberto Ginastera, le grand compositeur argentin, écrit un opéra sur un livret d’Alejandro Casona, qui s’est inspiré d’une légende médiévale espagnole, que l’on peut résumer, à l’instar de Jacques Lonchampt pour un article paru dans Le Monde pour la création française de l’oeuvre en 1976 à Strasbourg aussi sobrement que ceci : «Rodrigo, général wisigoth vainqueur, proclamé roi d’Espagne, prend sous sa protection Florinda, la fille de son ami; au moment du sacre, sombre présage, sa couronne tombe par terre; curieux comme une femme de Barbe-Bleue, il fait sauter les cadenas d’un coffre royal où il découvre un parchemin arabe annonçant sa perte. Il voit Florinda au bain, la viole, puis l’abandonne ; vaincu sur le champ de bataille, il meurt entre les bras de Florinda venue lui apporter le pardon. »
Ginastera se trouve alors dans une période de sa vie créatrice qu’il qualifiera lui-même de néo-expressionniste. Pour cette partition, il écrit une musique âpre, difficile, basée sur le sérialisme, bien que Ginastera disait osciller quelque part entre Verdi et Berg s’agissant de la création lyrique. L’orchestre est important (il faut par exemple 18 cors, dont 12 sur scène), et compte de nombreuses percussions, ce qui n’est bien sûr pas rare dans la musique latino-américaine. Pour autant, le succès de l’oeuvre reste assez confidentiel. Ce qui n’empêchera pas l’opéra de voyager après sa création au Teatro Colón voici 60 ans sous la direction de Bruno Bartoletti avec Carlo Cossutta dans le rôle titre, puisqu’à peine deux ans plus tard, le voici au Metropolitan Opera, au public pourtant réputé conservateur.
On a sans doute un peu négligé cette oeuvre depuis, mais si quelqu’un ne l’a pas oubliée, c’est sans doute Placido Domingo. En effet, c’est précisément lors de la création américaine de l’ouvrage, le 22 février 1966, que son interprétation du rôle de Don Rodrigo projette le jeune ténor au firmament, même s’il avait débuté six ans plus tôt. Et il se trouve que cette soirée a été captée : voici donc un extrait de cet opéra fort méconnu par un interprète (devenu) fort célèbre…