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25 janvier 1875 : le gentil (?) Démon de Rubinstein

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25 janvier 2025
Le Démon d’Anton Rubinstein a 150 ans.

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Détails

En 1871, Anton Rubinstein a déjà une vie bien remplie derrière lui. Virtuose célébré en Europe, ami de Liszt qui l’a beaucoup soutenu avant que les deux hommes se brouillent, compositeur assez prolifique dans ses plus jeunes années, créateur et directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg (1862-1867), il n’a plus grand-chose à prouver.

Lermontov par Piotr Zabolovsky

Cette année là, à 42 ans, c’est à nouveau la lecture de Lermontov qui l’inspire. À nouveau car il avait déjà envisagé plusieurs tentatives d’adaptation du poète russe, dont un opéra resté inachevé et qu’il ne reprendra jamais.

Pour adapter le dernier chef d’oeuvre du poète, Le Démon, écrit trente ans plus tôt juste avant la mort prématurée et tragique, à l’issue d’un duel comme Pouchkine, de Lermontov ; Rubinstein choisit Apollon Maïkov, qui ne peut mener sa tâche à bien. C’est Pavel Viskovatov, spécialiste de Lermontov, qui écrit le livret. Il s’attache plutôt à récupérer le texte original sans le modifier ou bien le moins possible, ce qui ne facilite ni sa tâche, ni celle du compositeur. Ce dernier cherche quant à lui à donner une connotation caucasienne à sa musique, en s’inspirant des rythmes et chants de la région où Lermontov avait servi comme officier. Selon une anecdote rapportée par le librettiste dans ses souvenirs (amers) de cette collaboration et relatée par André Lischke dans sa fabuleuse Histoire de l’opéra russe, c’est en chantant l’une des phrases du poème qu’il reprenait pour le livret que Viskovatov aurait inspiré « la phrase sur laquelle (Rubinstein) bâtirait tout l’opéra » : « Et tu seras la reine du monde et la compagne pour l’éternité », ce qui se vérifiera par un thème récurrent dans la partition.

Pavel Viskovatov

Mais l’entente ne dure pas. L’ouvrage est laborieux, la musique de Rubinstein ne plaît pas à son librettiste, qui attend davantage d’audace et les deux hommes se brouillent, si bien qu’il n’est pas très clair si la version finale du livret est bien de la main de Viskovatov. L’œuvre est néanmoins achevée et approuvée par le comité de lecture du Théâtre Mariinski, qui fait patienter Rubinstein pendant trois ans en raison de la censure, qui avait déjà valu un exil militaire à Lermontov au temps du très religieux et très autoritaire Nicolas Ier.

Lors de la création, voici 150 ans, le succès n’est pas au rendez-vous. Il semble que la mise en scène, qui en a fait rire plus d’un -déjà- ait tout à fait décrédibilisé l’ensemble. Mais les critiques sont bonnes, même celle de César Cui, volontiers sentencieux, et qui trouve par exemple les danses caucasiennes qu’on entend au 2è acte dignes de Glinka et de Berlioz.

Le Démon, c’est donc l’histoire de Tamara, jeune femme qui doit épouser le prince Sinodal. Mais c’est compter sans le Démon, qui, très impressionné par sa beauté, lui susurre soudain à l’oreille qu’il est prêt à tout quitter pour elle si elle l’aimait, en prononçant la fameuse phrase précitée. Terrifiée car elle est la seule à avoir entendu cette voix venue de nulle part au milieu de ses amies, Tamara n’en est pas moins troublée.

Pendant ce temps là, Sinodal fait route vers le palais. Mais sa caravane prend du retard en raison d’un éboulement. Il est contraint de bivouaquer dans la montagne avec sa suite et son vieux serviteur, qui n’est pas rassuré. Cet endroit est un coupe-gorge et le prince, malgré le pressentiment du serviteur, ne prend pas le temps d’aller dans une chapelle voisine prier pour son salut. Le Démon a tôt fait d’endormir tout ce petit monde et n’a plus qu’à attendre ce qu’il sait déjà : une groupe de brigands débarque et tue tout le monde. Réveillé en sursaut, le prince tente de s’interposer et meurt, atteint par une balle et par ailleurs foudroyé par l’apparition soudaine, devant lui, du Démon.

Tamara et le Démon, par Konstantin Makovski

Au palais de Goudal, on ne sait encore rien de tout cela et on ne s’inquiète pas, puisqu’un messager du prince a prévenu du retard lié à l’éboulement. Les noces se préparent, on boit et on danse. Seule Tamara repense avec effroi à cette voix et à ce qu’elle lui a dit. Soudain, on amène le corps inanimé du prince. Au milieu du tumulte consterné, Tamara entend à nouveau le Démon qui la pousse à la rejoindre. Elle s’évanouit, et tout le monde croit que c’est à cause de la vue du prince mort. Lorsqu’elle reprend conscience, elle demande à son père, le roi Goudal, de la laisser partir pour un monastère, où le vieux serviteur de Sinodal, qui a survécu, veillera sur elle.

Arrivée au monastère, Tamara se retire et le serviteur veille. Le Démon, qui paraît sincèrement amoureux et désireux de s’amender (un gentil Démon ?) tente de s’approcher. L’Ange apparaît et lui barre la route, mais le Démon l’écarte furieusement.

Il rejoint la cellule de Tamara et se révèle à elle. Il lui exprime tout son amour et semble si sincère que la jeune femme, d’abord horrifiée, se laisse envahir par la compassion, d’autant que le Démon jure de renoncer au mal. Elle cède, finalement, aux transports du Démon mais l’annonce des mâtines la fait réagir, elle tente de résister à nouveau et le Démon l’embrasse. Alors, l’Ange apparaît dans l’ombre du prince Sinodal, et Tamara s’effondre, raide morte. Dans l’épilogue, l’Ange triomphe du Démon et l’écarte, ouvrant la place à la fois à la solitude éternelle de ce dernier et à l’apothéose de Tamara, qui monte au ciel comme la Marguerite faustienne.

Bien aidé au tournant siècle par Chaliapine, l’opéra de Rubinstein restera l’un des piliers du répertoire en Russie jusqu’à la Révolution bolchévique mais n’est guère repris aujourd’hui. La faute peut-être à une inspiration inégale qui n’a pas suffi à ancrer l’œuvre dans le temps.

Fédor Chaliapine dans le rôle titre, par Korovine

Elle ne manque cependant de moments marquants, comme ce duo final et fatal, ici avec le dernier grand interprète du rôle-titre, Dmitri Hvorostovsky, aux côtés d’Asmik Grigorian à Moscou en 2015.

 

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