C’est l’éditeur Ricordi qui commande à Ottorino Respighi pour la Scala un nouvel opéra peu après le succès de son ballet La Boutique fantasque, hommage à Rossini, à Londres en 1919. Le compositeur, professeur au conservatoire, choisit peu après d’adapter une pièce du dramaturge d’Ercole Luigi Morselli. Ce dernier avait pour caractéristique de reprendre de grands mythes ou des auteurs classiques et de leur donner une nouvelle vie plus « moderne ». C’est ainsi qu’en 1920, Morselli reprend une nouvelle de Machiavel (oui, celui du Prince) dont le personnage central est le diabolique Belphégor et qui a pour titre Belfagor arcidiavolo. Respighi demande au poète Claudio Guastalla, un de ses récents amis qui allait ensuite écrire tous les livrets des opéras du compositeur, de transformer la pièce en livret avec pour nom Belfagor.
Morselli lui-même doit participer à cette adaptation. Malheureusement, atteint de tuberculose, il meurt en 1921. Guastalla termine le livret peu après et Respighi ne se met au travail que lorsqu’il reçoit toute la pièce. Il lui faudra plus d’un an pour composer sa partition, qu’il termine à l’été 1922.
Celle-ci est décomposée en un prologue, deux actes et un épilogue.
L’action se déroule en Toscane. Le marin Baldo (ténor) passe une dernière soirée avec sa dulcinée, Candida (soprano). Celle-ci ne tient pas à ce que son père, Mirocleto (basse), les surprenne à son retour de l’auberge après une soirée un peu arrosée. Ce dernier tombe sur un drôle de personnage, aux grandes oreilles et affublé d’une longue queue. Il ne lui manque que des cornes pour correspondre en tous points au portrait-robot du diable. Il s’appelle Belfagor (baryton) et c’est bien un petit diable venu sur terre vérifier si, par hasard, tout le malheur des humains ne viendrait pas du mariage… Il vient donc s’en assurer lui-même en demandant à Mirocleto l’une de ses filles en mariage, contre la somme rondelette de 1000 ducats d’or, que ce dernier n’a pas le coeur de refuser. Belfagor annonce qu’il reviendra prendre son « dû » le lendemain, après s’être transformé en humain.
En effet, le lendemain matin, une chaise à porteur richement décorée arrive devant chez Mirocleto. L’épouse de ce dernier, Olimpia (alto), s’affaire avec ses trois filles, Candida, Fidelia et Maddalena. Monsieur Ipsilon, qui se dit marchand et qui mène de toute évidence grand train, en descend et proclame qu’il vient pour se marier. Fidelia et Maddalena se précipitent pour se porter candidates. Mais le marchand choisit Candida, qui le snobe superbement et n’hésite pas à gifler le présomptueux. Mais son propre père, qui ne tient pas à perdre des ducats si chèrement gagnés, la contraint à se soumettre.
Puisqu’elle a été forcée au mariage, Candida fait régner sur le foyer une terreur… diabolique. Tout le château d’Ipsilon est livré à la colère démonstrative de la jeune femme. Le mari, qui ne risque pas d’approcher sa femme pour davantage d’intimité sauf à risquer très gros, souffre d’un mal supplémentaire et imprévu : il est amoureux… Mais voilà, le marin Baldo, qui n’a pas dû aller bien loin, est de retour. L’apercevant près du château, Candida promet soudain à Ipsilon mille délices contre un peu de temps… pour trouver comment s’enfuir avec son amant.
Les deux tourtereaux filent se marier. L’union avec Ipsilon était de toute façon invalide puisque le son des cloches censées consacrer le mariage avait miraculeusement été étouffé par la Vierge de Montenero… Petit miracle opportun : il ne saurait y avoir de mariage valable sans cloches…
Tout près d’eux, un vieillard et un jeune garçon parlent avec un vagabond qui s’amuse à insinuer que le sieur Ipsilon, qu’on n’a plus vu mais qui était fort beau, aura sans doute bien profité de son éphémère épouse avant de l’abandonner à un moins que rien. Baldo, furieux et jaloux, le chasse. Candida prie alors la Vierge de Montenero de leur accorder un ultime miracle et les cloches se mettent à sonner à la volée : le mariage des deux amoureux est valide et le vagabond Belfagor disparaît.
Puisque cette comédie, dans la tradition buffa, est destiné à la Scala, Respighi espère bien que ce sera le grand patron de l’institution, Arturo Toscanini, qui va en diriger la création. Mais il se trouve qu’il y a quatre chefs qui officient au sein du théâtre et que c’est finalement Antonio Guarnieri qui s’y collera, au grand dépit du compositeur. Si l’on ajoute à cela un metteur en scène à peu près totalement indifférent et un rôle-titre – Mariano Stabile, excusez du peu – qui menace de tout laisser tomber pendant les répétitions, nul ne peut être surpris de la relative froideur avec laquelle la première, voici tout juste un siècle, est accueillie. Le public est plutôt favorable, mais les critiques beaucoup plus sceptiques. Pour preuve que les responsables de la Scala ne croient guère à un rebond, les décors sont presqu’immédiatement détruits. L’œuvre ne s’établira jamais dans les maisons d’opéra et attend sa redécouverte.
La musique en est résolument moderne, l’orchestre parcouru de mille raffinements harmoniques, la partie comique peut-être un peu trop sage. La critique est déroutée, certains admirant le travail orchestral, les autres y voyant bien des promesses non tenues. Il aurait peut-être fallu à Respighi un troisième miracle de la Vierge de Montenero !
Voici l’épilogue de cette comédie lyrique, ici dans la seul enregistrement de l’œuvre, sous la direction de Lamberto Gardelli, avec Sylvia Sass en Candida, Laszlo Polgar dans le rôle de Mirocleto et Lajos Miller dans celui de Belfagor.