Joseph Haydn est au service du prince Nicolas Esterházy depuis plus de 20 ans lorsqu’il compose pour la Cour du prince un nouvel opéra. Depuis quelques années, la vieille clause d’exclusivité qui caractérisait son premier contrat en 1761 et qui faisait de lui une sorte d’artiste enfermé dans une cage dorée, avait été retirée et, de fait, le prince lui avait un peu allongé la bride dès les années 1770. Haydn a donc de plus en plus l’occasion d’aller et venir et de présenter ses œuvres, notamment à Vienne, et ses partitions commencent à être publiées un peu partout en Europe avec grand succès.
Cependant, ses activités au château d’Esterháza, principale résidence princière depuis le début des années 1770, lui laissent assez peu de temps libre. Le prince est exigeant et attend de son maître de chapelle qu’il monte jusqu’à 100 représentations lyriques chaque année. Haydn conduit donc des œuvres de son temps, essentiellement des opéra-bouffes italiens alors très en vogue. C’est aussi pour cela qu’il compose lui aussi une douzaine de ces dramme giocose et autres farces sur une quinzaine d’années.
En 1783, changement de registre. Haydn opte pour un premier opera seria inspiré, comme son précédent opus lyrique, Orlando Paladino, par la Jérusalem délivrée du Tasse. Il est à peu près certain que le librettiste de son nouveau projet soit d’ailleurs le même que pour Orlando, créé quelques mois plus tôt, à savoir Nunziato Porta, dont on sait par ailleurs assez peu de choses. Le livret de cette nouvelle Armida en réutilise d’autres, tant cette histoire a déjà fait les beaux jours des théâtres depuis Lully, jusqu’à la plus récente et fameuse version signée Gluck, créée six ans auparavant, en passant par celle d’Antonio Tozzi, intitulée Rinaldo, présentée à Venise en 1775, que Porta, si c’est bien lui, a particulièrement reprise et qui piochait elle-même allègrement de ci-de là.
Il en résulte trois actes serrés dans lesquels le fond de l’histoire de la magicienne Armida et du chevalier Rinaldo n’est guère bouleversée. Musicalement, cependant, Haydn réalise une partition particulièrement aboutie, qui lorgne du côté de Gluck dans sa méthode, et qui nous rappelle qu’Haydn n’est pas seulement un génie dans le genre instrumental, bien que moins à l’aise avec les voix que son confrère bavarois.
Le nouvel opéra est un événement créé avec faste devant la cour du prince voici 240 ans ce 26 février. Et aussi avec succès si l’on en croit le nombre de reprises jusqu’en 1788 : plus de 50. L’œuvre sera d’ailleurs présentée également à Vienne, à Budapest et à Presbourg (actuelle Bratislava) dans le même temps. Mais ce qui restera le seul opera seria créé du vivant de son auteur n’en disparaîtra pas moins bien vite du répertoire, pour ne renaître que près de deux siècles plus tard.
Grand spécialiste de Haydn dont il a enregistré la première intégrale des symphonies et des opéras, Antal Dorati s’est entouré en 1978 d’une distribution à la hauteur de l’événement : Ahnsjö, Ramey, Rolfe-Johnson, Burrowes et… Jessye Norman dans le rôle-titre, que voici dans l’air du premier acte « Se Pietade avete, o Numi », avec l’orchestre de chambre de Lausanne. Plus près de nous, la version enregistrée par Nikolaus Harnoncourt avec Cecilia Bartoli tient lieu de référence moderne.