Michael Tippett a dépassé la quarantaine lorsqu’il décide, après beaucoup d’hésitation, de se lancer dans son premier grand opéra, après quelques essais de jeunesse qui n’avaient pas l’envergure de ce qu’il met en chantier à partir de 1946.
Comme il l’avait fait pour son grand oratorio A Child of our time, il décide de ne laisser à personne le soin d’écrire le livret et s’inspire de plusieurs sources : les légendes celtiques, la pensée psychanalytique de Carl Gustav Jung et de l’inventaire des mythes et rites élaboré par James George Frazer. Tippett revendique également une certaine filiation de son oeuvre, qu’il appelle The Midsummer Marriage, et qu’il mettra près de six ans à écrire, avec La Flûte enchantée mozartienne. On trouve dans son histoire un couple princier, Jenifer et Mark ; et un couple de roturiers, Jack et Bella. Le King Fisher fait penser à la Reine de la Nuit et les Anciens aux prêtres de Sarastro. Par un curieux hasard, l’oeuvre est créée le jour anniversaire de la naissance de Mozart…
L’opéra s’ouvre sur un matin de la saint-Jean. Mark, un jeune orphelin, doit retrouver Jenifer, fille d’un riche marchand, dans une clairière au milieu de la forêt. Dans un temple en haut d’une colline, ils veulent en effet célébrer leur mariage, au milieu de leurs amis et de danseurs qui les accompagnent. Parmi les danseurs, Mark a un double, Strephon, à qui il demande d’exécuter une danse spéciale. Mais les Anciens, qui veillent sur les rites, n’acceptent pas cet écart et font chuter le danseur. Jenifer rejoint la troupe et signifie à Mark qu’elle ne veut plus l’épouser : elle lui demande la vérité. Le couple se dispute et se sépare, Jenifer empruntant un escalier et Mark descendant dans une cave au sein du temple. King Fisher, riche marchand et père de Jenifer, ne veut de toute façon pas de ces noces et survient avec à ses côtés sa secrétaire, Bella, et son chauffeur, Jack, ces deux derniers étant fiancés. King Fisher veut entrer dans le temple et soudoie quelques membres du choeur qui accompagnait Mark et Jenifer. Mais les femmes s’y opposent et une voix, soudain, empêche King Fisher d’avancer. Mark et Jenifer reviennent et sont enjoints par les Anciens de se livrer à une épreuve de chant. Mark chante ses pulsions charnelles et Jenifer la pureté spirituelle. Ce contrepoint intrigue les deux jeunes gens. Jenifer décide donc de descendre dans la cave où se trouvait Mark et ce dernier va prendre l’escalier d’où venait Jenifer pour élever son âme.
L’après-midi, pendant que Jack et Bella rêvent ensemble de leur avenir conjugal, Strephon et les danseurs exécutent plusieurs danses rituelles évoquant les métamorphoses de la nature et des saisons, faisant une belle frayeur à Bella que Jack s’efforce de consoler.
Viennent le soir et la tombée de la nuit. Le choeur des amis organise la fête mais King Fisher vient la perturber en annonçant l’arrivée de Madame Sosostris, une voyante qu’il paie pour retrouver Jenifer et dont le personnage est tiré d’un poème de T.S. Eliot. Les Anciens préviennent King Fisher qu’à trop vouloir jouer avec des notions auxquelles il ne comprend rien, il risque la mort. Mais le riche magnat s’en moque et demande au choeur d’aller chercher la voyante. Mais ce dernier revient avec Jack, déguisé en bouffon, tenant une boule de cristal. Madame Sosostris paraît cependant, et entre en lévitation. Elle célèbre le mariage de Jenifer et de Mark, à la grande fureur de King Fisher, qui brise la boule de cristal et arrache le voile derrière lequel se cache Sosostris, découvrant une fleur de lotus à travers laquelle il voit les ébats de Mark avec sa fille. King Fisher pointe alors un révolver sur Mark, mais meurt, foudroyé par les regards du jeune homme et de sa fille. Une cérémonie funèbre s’ensuit durant laquelle Strephon danse la danse du feu, celle de l’été, la quatrième saison manquante de sa chorégraphie. Il disparaît dans la fleur de lotus, qui prend elle-même feu. Au petit matin, Mark et Jenifer reparaissent, réconciliés et heureux pour échanger leur anneau.
La création de l’opéra, voici 70 ans, n’est pas un grand succès pour Tippett, qui avait pourtant réuni une distribution de très haut vol avec notamment Richard Lewis (Mark) et Joan Sutherland (Jenifer) sous la direction de John Pritchard au Royal Opera House de Covent Garden. La critique fustige un texte trop cérébral et trop psychanalytique. Mais la musique de Tippett, qui s’inspire de plusieurs sources, se révèle d’une grande richesse et d’une profondeur incontestable. L’opéra ne sortira guère des frontières britanniques et reste inédit en France. On entend parfois en concert les danses rituelles du deuxième acte, dans lesquelles le compositeur donne libre cours à son sens du rythme. Un film signé Elijah Moshinsky en sera tiré en 1984.
Voici l’air de Sosostris, au troisième acte, dans un enregistrement dirigé par Michal Tippett lui-même.