Vénérer Wagner agit-il sur votre style lorsque vous êtes compositeur ? Pour un créateur, rien n’est jamais aussi simple(iste), mais à la fin du XIXè siècle, le sujet peut vite devenir très inflammable, entre pro-Wagner acharnés, anti-Wagner déterminés et l’armée d’indécis (ou prudents) ambigus. Ernest Chausson n’avait jamais caché appartenir plutôt au premier cercle, après avoir découvert la Tétralogie à Bayreuth, mais il n’était pas pour autant fanatique. Il aurait même affirmé qu’il fallait se « dewagnériser ».
Il faut dire que l’ambiance est encore très imprégnée des suites de la perte de l’Alsace-Moselle et qu’il ne fait pas toujours bon, en tout cas dans les cercles musicaux, claironner son admiration pour l’un des symboles modernes de la culture adverse, d’autant que les musiciens français cherchent à investir les domaines emblématiques de leurs voisins d’Outre-Rhin, par exemple la symphonie et le poème symphonique. C’est dans ce contexte que Chausson écrit un opéra -ce sera le seul avant sa tragique disparition à la suite d’un stupide accident de vélo. Il lui faudra 10 ans, entre 1886 et 1895, pour l’achever.
Wagnérien, le thème qu’il choisit l’est sans nul doute, puisqu’il s’agit de la Table ronde de la légende du roi Arthur, de la trahison de Lancelot, de la sagesse de Merlin et de l’infidélité de Genièvre. Ce n’est pas la première fois que Chausson se tourne vers les mythes bretons, puisque son poème symphonique Viviane nous plongeait déjà dans les profondeurs de la forêt de Brocéliande.
Wagnérien, le projet l’est aussi par sa conception : Chausson ne veut pas confier le livret de son opéra à un intervenant extérieur et s’en charge en personne. Mais après tout, Berlioz n’avait pas attendu Wagner pour procéder de même. Le langage musical continu, s’il n’est pas davantage spécifiquement wagnérien, y fait néanmoins penser.
Wagnérien, Le roi Arthus, nom définitif de cet opéra, l’est aussi dans sa partition, où il est difficile de ne pas entendre des réminiscences de Tristan, qu’évoque également l’oeuvre de Chausson. Mais elle lorgne tout aussi bien vers le grand opéra ou les oeuvres patriotiques d’Europe centrale, comme Dalibor de Smetana, par exemple.
En résumé, c’est une oeuvre surtout « chaussonienne » assez unique en son genre dans le répertoire lyrique français, touffue, épique et non sans souffle, lyrique et non sans longueurs. Elle n’attire pourtant pas les imprésarios et Chausson ne parvient pas à faire monter son opéra en France. Son accident tragique en 1899 l’empêchera donc d’assister à la création de son chef d’oeuvre et ce n’est pas davantage la France qui y remédiera. C’est en effet à Bruxelles, à La Monnaie, que Le Roi Arthus est créé 4 ans après la mort de Chausson, voici 120 ans aujourd’hui. Mais le succès n’est pas au rendez-vous et il ne le sera pas avant très longtemps, en particulier en France, où il faudra attendre… 2015 pour que l’opéra de Paris l’ajoute à son répertoire sous la direction de Philippe Jordan. Il existe des captations pirates de cette création française intégrale, mais de trop mauvaise qualité. Alors, il faut revenir à l’autre redécouvreur de ce chef d’oeuvre qui n’est autre que le père de l’ancien directeur musical de l’Opéra de Paris, Armin Jordan, dans un enregistrement insurpassé et dont voici le finale.