D’un univers où les légendes du passé sont légion, il était devenu le doyen, superbe et vénérable ; Hugues Cuénod est décédé, à l’âge de 108 ans. Après ses premiers pas de chanteur à l’occasion de la création française de Jonny Spielt auf de Krenek en 1928 (c’était 7 ans avant la naissance de Pavarotti, et un an avant les débuts officiels de Karajan…), le ténor suisse deviendra le témoin privilégié d’innombrables évènements musicaux de premier ordre : témoin des prémisses d’une redécouverte du baroque avec le vieux Vincent d’Indy la plus jeune Nadia Boulanger et l’immense Nadia Boulanger, avec les premiers enregistrements de chansons de Guillaume de Machaut et de Gilles Blinchois, de la création mondiale du Rake’s progress (avec à ses côtés une jeunette, une star en devenir : Elisabeth Schwarzkopf), puis d’une certaine production de Turandot, dans laquelle il fit ses débuts au Met et ses adieux à la scène, à 80 ans bien sonnés, et où il partageait la scène avec Eva Marton et Placido Domingo… tout cela, il l’a vu et l’a vécu. Et pourtant, rien, dans son chant naturel comme dans son allure éternellement élégante, n’avait la solennité empesée qui constitue l’unique style de ceux qui confondent légèreté et superficialité. Le style, Hugues Cuénod avait compris de longue date ce que ça voulait dire ; les disques de mélodies françaises qu’il nous a laissés constituent à cet égard des documents précieux, dont ce sera à nous, désormais, d’être les témoins attentifs.
Clément Taillia
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