La disparition d’une grande légende du passé est toujours une triste nouvelle ; le décès d’un chanteur en activité n’est pas moins cruel, qui nous fait réaliser tout ce qu’il se devait encore de nous faire entendre. Âgé de 63 ans, Laszlo Polgar nous a quittés le 19 septembre dernier, alors que sa carrière, certes recentrée sur les opéras de Zurich et de Budapest, se poursuivait à un rythme encore soutenu, et pas dans les rôles les plus négligeables : ces prochains mois devaient notamment le mener à Fiesco (Simon Boccanegra) et à Oroveso (Norma). Né à Budapest, issu de l’Académie Franz Liszt, le jeune Laszlo Polgar étudie ensuite auprès d’Evgueny Nesterenko et de Hans Hotter. De l’enseignement de ces deux maîtres, Polgar tire la splendeur et la maîtrise de sa voix imposante, presque caverneuse, ainsi que la versatilité de son répertoire : de Mozart à Verdi en passant par Wagner et, bien sûr, par Bartók (des Barbe-Bleue de sa stature, combien en avons-nous entendu ?), aucun grand rôle de basse n’est négligé. En témoignent quelques fleurons de sa discographie, où l’on croise les noms de Pierre Boulez et de Jessye Norman (pour un immanquable Château de Barbe-Bleue), de Nikolaus Harnoncourt (pour de multiples enregistrements, dont un Don Giovanni qu’il illumine de son Leporello rusé), de Simon Rattle (pour un Fidelio qui demeurera son dernier enregistrement au disque), de Claudio Abbado (pour le Boland du Fierrabras de Schubert, dont il interprètera bien plus tard le rôle principal, celui de Charlemagne, à Zurich et au Châtelet)… en témoigne aussi cette brève vidéo, un « Ella giammai m’amo » halluciné, glacé d’effroi et de désespoir, qui résume tout l’art de ce très grand chanteur. Clément Taillia
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