Disciple de Jacques Offenbach, à qui il apportera neuf titres pour le théâtre des Bouffes-Parisiens, Léo Delibes est aussi un concurrent, qui écrit pour d’autres scènes. Ainsi, pour la première fois, c’est l’Opéra-Comique qui monte sa nouvelle partition, Le Roi l’a dit, voici tout juste 150 ans.
Cette pochade avait un temps été destinée à Offenbach sous le titre de Si le Roi savait. Le livret en est dû à Edmond Gondinet, qui n’a pas fait dans la dentelle.
L’action se passe sous Louis XIV. Le marquis de Moncontour, qui a sauvé la perruche de Madame de Maintenon, est un peu troublé lorsqu’on le présente au roi en récompense, et que ce dernier lui demande s’il a un fils. Le marquis ne trouve rien de mieux que de répondre par l’affirmative, alors qu’il est père de quatre filles… Parce qu’évidemment, le roi souhaite le rencontrer, ce fameux fils… Comment faire ? Par miracle, on dégote un jeune homme venu de sa campagne, petit ami de la servante du marquis, Javotte. Il s’appelle Benoît et il fera l’affaire. C’est du moins ce que croit celui qui a l’idée de le faire passer pour le fils du marquis, Miton le maitre de danse de la famille.
Mais voilà, Benoit prend son rôle très (très) au sérieux. Il accumule les bévues, les quiproquos, les incidents en tous genres. Au point que la marquise se demande si ce n’est pas le vrai fils de son nigaud de mari… Mais tout benêt qu’il est, le jeune homme va trouver l’idée de génie qui va tout arranger. Il provoque en duel tour à tour les prétendants de deux des quatre filles du marquis, des barbons qu’elles n’aiment pas. Il se fait passer pour mort dans les deux cas. Les duels étant interdits, les deux prétendants s’enfuient et on informe le roi de l’infortune du marquis. Louis XIV envoie donc ses condoléances à la famille : ce fils est mort, puisque le roi l’a dit !
La première de l’opéra-comique à Favart ne rencontre pas le succès escompté. La critique loue l’invention de Delibes et voit en lui un maitre du genre, dans la grande tradition française, mais le public a la tête ailleurs ce soir là. C’est que ce même jour, celle qui n’est pas encore tout à fait la IIIe République connait une grave crise politique. Adolphe Thiers, Président de la République, qui porte ce titre depuis 1871 et alors même que l’Assemblée nationale est monarchiste, est renversé par une courte majorité qui lui reproche d’avoir voulu précipiter la républicanisation du régime et cherché à empêcher toute restauration monarchique. C’est au moment même où l’opéra-comique est joué que Thiers remet sa démission, espérant peut-être qu’on lui demandera une fois encore de rester. Mais ce ne sera pas le cas. L’Assemblée va subdiviser l’exécutif en créant un président du Conseil et en appelant à la Présidence de la République un vrai monarchiste, le maréchal de Mac-Mahon, qui ne réussira pas à restaurer un pouvoir royal en France.
Quant à Delibes, il attendra encore dix ans avant de recevoir de sacre de Lakmé !