À l’origine, Vert-Vert ou les voyages du perroquet de la Visitation de Nevers est un poème satirique de Jean-Baptiste Gresset qui se moque avec jubilation de la vie dans les couvents (il était encore lui-même jésuite au moment de sa rédaction). Il raconte la vie d’un perroquet reccueilli par des sœurs, qui lui enseignent le langage d’un bon chrétien. Réclamé par des religieuses de Nantes, le pauvre perroquet voyage au milieu des bateleurs et des vivandières : il apprend un tout autre vocabulaire, qu’il expose avec application aux sœurs nantaises… qui manquent de s’en étouffer et le renvoient à Nevers où on s’efforce cette fois de lui apprendre le latin, mais où il finira par mourir d’indigestion de dragées…
On peut imaginer qu’un tel sujet cocasse et loufoque ait pu plaire à Offenbach et à ses librettistes Meilhac et Nuitter (aidés par Leuven, Ludovic Halévy et Pittaud de Forges). Un opéra avait déjà été tiré de la fable de Gresset, et c’est Dalayrac qui en avait signé la musique. C’est le livret de ce dernier qui a surtout inspiré les comparses offenbachiens qui ont fabriqué une sauce assez improbable, très éloignée de l’original et qui requiert une distribution longue comme le bras. Cette fois, il est question de l’enterrement du perroquet Vert-Vert par les pensionnaires d’une institution : Mimi, Bathilde et Emma, aidés du jardinier Binet et de Valentin, neveu de la directrice du pensionnat. Le comte d’Arlange vient en cachette pour voir Bathilde, qu’il a épousée secrètement, tandis que le chevalier de Bergerac a lui convolé tout aussi secrètement avec Emma… Mimi, elle, aime Valentin et s’enfuit pour le rejoindre alors que ce dernier part pour Nevers avec le jardinier après les funérailles du perroquet. À Nevers, dans une certaine auberge du Lion d’Or… le comte et le chevalier essaient de lutiner la chanteuse Corilla, qui doit se produire au théâtre et qui s’intéresse plutôt à Valentin, présent à l’auberge et qui prend pour nom de scène Vert-Vert. Il accepte de chanter avec elle pour remplacer un ténor malade. Tout le monde s’amuse, y compris Mimi, qui s’est glissée parmi les convives, déguisée en dragon. Retour au pensionnat. Valentin et Mimi s’avouent leur amour alors que la nuit tombe et qu’il va se passer de drôles de choses dans le jardin, un peu comme dans le dernier acte des Noces de Figaro. Tout est bien qui finit bien, évidemment.
En cette année 1869 très prolifique pour Offenbach, c’est la troisième fois que ce dernier présente une œuvre pour l’Opéra-Comique, où il n’a pas gardé que des bons souvenirs depuis l’échec de Barkouf. Berlioz, qui meurt le 8 mars de la même année, l’avait en particulier éreinté dans une critique au vitriol.
De fait, le livret de Vert-Vert fait grincer une critique méfiante. Les uns le trouvent trop leste ; les autres pas assez… Ce qui est sûr, c’est qu’il est long. Et la partition aussi : la première, voici tout juste 150 ans, dure pas moins de 3h42. Les traditionnalistes attaquent méchamment la musique, considérée comme trop bouffe pour un théâtre aussi respectable : « Le jour où on veut passer du baltringue au salon, on y est gauche, emprunté, mal à l’aise ; on s’y sent intrus », persifle Ralph, pour « L’Art musical ». D’autres sont moins brutaux et, surprise, ils sont même plutôt nombreux. Car le public, lui, accueille très favorablement la grosse farce, qui sera reprise 36 fois d’affilée, le meilleur score d’Offenbach dans ce théâtre.
Puis l’œuvre tombe dans un oubli à peu près définitif, jusqu’à ce que Jean-Christophe Keck, tout à sa monumentale édition critique de l’œuvre d’Offenbach, ranime Vert-Vert à Bad Ems, puis qu’Opera Rara l’enregistre en 2014.
Dans son récent et passionnant récital pour le disque consacré à Offenbach, Jodie Devos a enregistré l’air de Corilla, au deuxième acte : Les plus beaux vers sont toujours fades… Vert-Vert est décidément un joyeux cent-cinquantenaire !