Dans son poème « Autrefois », tiré des Contemplations, Victor Hugo rend hommage à une amie chère, la seule pour laquelle il accepta d’adapter lui-même l’une de ses œuvres quelques années plus tôt. Et pas la moindre : Notre-Dame de Paris. Il y mit beaucoup d’ardeur et de patience, soumettant ses vers à la musique, lui qui n’aimait guère cet exercice, pour cette amie de 3 ans sa cadette, Louise Bertin. Fille du patron du Journal des Débats, Louis-François Bertin dit l’aîné, en partie infirme mais dotée d’une volonté à toute épreuve, elle connaissait Hugo depuis fort longtemps et ce dernier, tout comme Berlioz, admirait celle qui fut la première femme à faire représenter une adaptation lyrique composée par elle-même du Faust de Goethe en France. Avec La Esmeralda, crééé il y a 180 ans, elle réalisait son chef d’œuvre, hélas raillé d’emblée par une méchante critique, malgré une première sans accroc. Il se trouva même un gros malin dans le Courrier des théâtres pour écrire : « Quand on songe, en effet, aux exigences de la nouvelle école musicale, on s’étonne qu’un cerveau féminin ait pu jusque là y satisfaire ». Cinq représentations plus tard, l’œuvre était retirée et allait entrer dans un oubli durable. 6 ans après cette déconvenue, dans ses lettres du Rhin, Hugo écrivait à un correspondant imaginaire : « L’avenir, n’en doutez pas, mon ami, remettra à sa place ce sévère et remarquable opéra, déchiré à son apparition avec tant de violence et proscrit avec tant d’injustice. Le public, trop souvent abusé par les tumultes haineux qui se font autour de toutes les grandes œuvres, voudra enfin réviser le jugement passionné fulminé unanimement par les partis politiques, les rivalités musicales et les coteries littéraires, et saura admirer un jour cette douce et profonde musique, si pathétique et si forte, si gracieuse par endroits, si douloureuse par moments ; création où se mêlent, pour ainsi dire dans chaque note, ce qu’il y a de plus tendre et ce qu’il y a de plus grave, le cœur d’une femme et l’esprit d’un penseur. ».
Il faudra attendre un concert et un disque au Festival de Radio-France à Montpellier en 2008 pour trouver un écho partiel à cette prédiction. Même si l’air des cloches de Quasimodo est resté l’extrait le moins oublié de l’œuvre, cette sombre aria de Claude Frollo au début de l’opéra, ici chantée par Francesco Ellero d’Artegna, ne manque pas de profondeur.