Au début des années 1830, Meyerbeer et Hérold (nés la même année, 1791) se disputent la vedette sur les scènes parisiennes. Point d’orgue de cette rivalité, dans le Grand Opéra à la française naissant, les deux veulent adapter les « Chroniques du règne de Charles IX » de Mérimée, alors fort en vogue comme tout le genre du roman historique. Heureusement, les commanditaires des deux œuvres choisissent deux créneaux différents. Le drame sanglant et la Saint-Barthélemy à Meyerbeer, qui en fera ses Huguenots pour la salle Le Peletier ; l’opéra-comique plus apaisé et moins spectaculaire à Hérold qui présente ce 15 décembre 1832 à l’Opéra-Comique (salle des Nouveautés, la bien nommée) son Pré-aux-Clercs, sur un livret d’Eugène de Planard. Chef-d’œuvre pour les deux compositeurs, on a oublié aujourd’hui combien celui d’Hérold allait tenir l’affiche un bon siècle, jusqu’à atteindre plus de 1600 représentations.
Il était temps pour ce théâtre qui est alors au bord de la ruine, en raison des effets sur sa fréquentation de la terrible épidémie de choléra qui ravage alors la France et Paris en particulier. Fort de son succès avec Zampa l’année précédente, Hérold, bien que malade, fait figure d’homme de la situation.
La préparation de la première est donc très soignée, avec des moyens importants et une distribution de haute volée, avec Etienne Thénard en Mergy et Mme Casimir en Isabelle notamment. Las ! Malade, Mme Casimir fait faux bond au tout dernier moment. C’est Véron, directeur de la maison concurrente, l’Opéra, qui prête en grand seigneur « sa » Julie Dorus-Gras, moins actrice que chanteuse, mais qui sauve la première. Certains morceaux sont bissés et la critique est élogieuse. Seul le Journal des Débats descend l’opéra en flammes. On croira longtemps que l’auteur de cette critique incendiaire était Berlioz, jeune débutant au sein du quotidien. Mais en 1869, le véritable auteur de l’article se révèle : c’est Jules Janin, qui écrira alors : « Certains critiques ont reproché à Berlioz d’avoir mal parlé d’Hérold et du Pré-aux-Clercs. Ce n’est pas Berlioz, c’est un autre, un jeune homme ignorant et qui ne doutait de rien en ce temps-là, qui, dans un feuilleton misérable, a maltraité le chef-d’œuvre d’Hérold. Il s’en repentira toute sa vie. Cet ignorant s’appelait (j’en ai honte)… Jules Janin ».
Malheureusement, Hérold ne profitera guère du triomphe. Atteint de tuberculose depuis des années, il est pris d’un malaise à la première et meurt un mois plus tard. L’émotion est si forte à Paris qu’on se fait presque un devoir d’aller assister à une représentation du Pré-aux-Clercs pour lui rendre hommage.
En 2016, le Palazetto Bru Zane a produit au disque une excellente version de ce petit bijou oublié. Voici Michael Spyres, pilier de la distribution de ce nouveau disque, qui chantait sur scène le célèbre « Ô ma tendre amie » en 2015, prélude à l’enregistrement. Il a depuis un peu progressé en art dramatique et sa voix s’est « baryténorisée », mais il était déjà imbattable sur ce terrain…