34 ans avant que Rossini ne vienne tout balayer avec sa propre adaptation de la pièce de Beaumarchais, c’est un autre italien, pugliese celui-ci, qui remporte un succès phénoménal avec la sienne, très loin du Teatro Argentina et de la péninsule.
Giovanni Paisiello met en effet en musique les aventures de Figaro, Rosine et Almaviva dès 1782 sur un livret de Petrosellini. Le compositeur est alors maître de chapelle de la tsarine Catherine II depuis six ans. Il avait été appelé en Russie par la souveraine elle-même, très férue d’opéra italien et qui avait eu vent de sa réputation, alors très établie. Il y avait d’ailleurs succédé à un autre italien et c’est dans ces fonctions qu’il avait créé l’année précédente La Serva padrona.
C’est donc également à Saint-Pétersbourg que Paisiello découvre la pièce de Beaumarchais. Si la musique italienne était en vogue, son pendant au théâtre lorgnait vers la France, notre langue étant alors, comme ailleurs en Europe, celle de la cour et la culture française très répandue. Le chef-d’œuvre impertinent de Beaumarchais avait ainsi été représenté dans la capitale russe très rapidement après sa création parisienne.
Le compositeur est déterminé à en faire un opéra et cela tombe bien car après plusieurs mois de vaches maigres sur le plan lyrique, faute de librettiste italien sous la main, voilà qu’il peut compter sur Giuseppe Petrosellini. Du moins, c’est là la tradition historique, certaines sources évoquant un auteur francophone anonyme. Quoi qu’il en soit, ce livret – que Sterbini refondra en 1816 pour Rossini – est une réduction de la pièce et constitue la deuxième adaptation du Barbier après celle, très précoce, de Benda à Dresde.
Présenté au Palais de l’Ermitage, à la distribution entièrement italienne, la pièce remporte voici 240 ans (et quelques jours si l’on tient compte de la différence de calendrier, les Russes appliquant alors le calendrier julien) un énorme succès, qui a tôt fait de dépasser les frontières impériales et se répand dans toute l’Europe très durablement. D’aucuns racontent que la découverte de cette œuvre par Mozart l’aurait conduit à écarter le projet d’adapter cette pièce de Beaumarchais, et à s’orienter vers sa suite, ce qui donnera les Noces de Figaro. Mais c’est une autre histoire !
Lorsque 34 ans plus tard, Rossini demande au vieux Paisiello (qui mourra quelques semaines après, comme un triste symbole) l’autorisation de réutiliser le livret de Petrosellini, mais sous un autre nom, obtenant l’accord de son illustre devancier, le Barbier de Paisiello est d’ailleurs encore une référence particulièrement respectée. Cela donne une idée du poids que représentait encore un compositeur aujourd’hui un peu oublié et qui était tellement apprécié de Catherine la Grande, que je ne peux pas m’empêcher de vous raconter cette anecdote : la faveur de Paisiello auprès de la souveraine était telle qu’elle suscitait, à la cour impériale, des jalousies nombreuses qui finiront au demeurant par pousser Paisiello, lassé, à quitter la Russie. Un jour, l’un des jaloux, un général, entreprend de gifler le compositeur, dont le sang pugliese ne fait qu’on tour : le voilà qui rosse littéralement le militaire, qui va courageusement se plaindre à la tsarine, rappelant aimablement que, selon les règles en vigueur en Russie, quiconque frappe un officier peut être condamné à mort… Mais patatras pour le général, Catherine II aurait répondu ceci, selon April Fitzlyon dans sa biographie consacrée à Da Ponte : « Vous avez oublié votre dignité en frappant un civil et un grand artiste ; et quant à votre rang, il est en mon pouvoir de faire cinquante maréchaux, mais pas un seul Paisiello.»
L’extrait que voici pour célébrer le chef-d’œuvre de Paisiello pourrait être rapproché du légendaire « Largo al factotum » rossinien, sans qu’il puisse y être comparé puisqu’ici Figaro raconte son passé et ses voyages, comme dans la pièce. Mais la musique de Paisiello, en écho aux opéras bouffes de son temps, tient très dignement son rang. Ici chanté par Pietro Spagnoli, un habitué de Figaro (l’autre).