L’idée de réaliser un opéra sur l’un des personnages de la Niflunga-Saga remonte au début des années 1850, lorsque Wagner imagine une nouvelle trilogie précédée d’un prologue, qui deviendra la Tétralogie du Ring des Nibelungen. On sait qu’il commence par la fin, avec la mort de Siegfried, avant de remonter peu à peu aux sources, variées, de la légende. Au printemps 1851, il écrit ainsi le livret du Jeune Siegfried, puis se met aux esquisses musicales, parallèlement à celles de l’Or du Rhin et de la Walkyrie. Il mettra ensuite de longues années à achever l’opéra. En août 1857, il interrompt sa composition pour presque 12 ans, le temps d’écrire Tristan puis les Maîtres-Chanteurs. Siegfried, titre définitif de ce qui sera la troisième journée de la Tétralogie, est enfin achevé au début de l’année 1871. Comme le reste, il est créé pour l’inauguration du théâtre de Bayreuth le 16 août 1876, sous la direction de Hans Richter, mais avec un jour de retard (il aurait dû être donné le 15), car Franz Betz, le Voyageur dans Siegfried, était malade. Le public est impressionné par ce qu’il entend mais aussi par ce qu’il voit sur la scène, en raison des effets spéciaux imaginés par Wagner, qui était son propre metteur en scène.
Ce dernier puise dans quantité de sources mythologiques germaniques et nordiques pour dessiner ses personnages, mais aussi chez les Grimm, dont le conte « Celui qui partit apprendre la peur » se retrouve dans les paroles de Mime, qui envoie Siegfried et son épée Notung combattre le géant Fafner, dont l’apparence terrifiante enseignerait au jeune naïf qui ne la connaît pas, ce qu’est la peur. On verra qu’il n’en sera rien.
Ce personnage de Siegfried, un rien candide, insouciant et prétentieux, est vu par George Bernard Shaw, cité par Piotr Kaminski, comme un héros anarchiste : « C’est un personnage absolument amoral, un anarchiste né, l’idéal de Bakounine, une anticipation du surhomme de Nietszche (…) ; le type même de l’homme sain, ayant acquis une parfaite confiance dans ses impulsions grâce à son intense et joyeuse vitalité, qui l’élève au-dessus de la crainte, de la vitalité, qui l’élève au-dessus de la crainte, de la mauvaise conscience, de la méchanceté, ainsi que des expédients et des béquilles morales de la loi et de l’ordre, qui font leur cortège. »
Dans sa fameuse production de 1976, Patrice Chéreau en fait un personnage capricieux, presqu’enfantin et très sûr de lui, comme on le voit ici dans la captation video de 1980, lorsqu’il forge son épée Notung. L’occasion de rendre hommage non seulement au Mime saisissant de Heinz Zednik ; mais aussi au Siegfried de Manfred Jung, qui nous a quitté il y a quelques semaines.