Dès après la création de ses Huguenots, début 1836, Meyerbeer songe à un nouveau grand opéra qui viendrait déposer son « système dramatique sur des piliers indestructibles »., comme il l’écrit alors. Après moult hésitations, son choix se porte sur Le Prophète, dont Eugène Scribe commence le livret fin 1836, et qu’il avait d’abord appelé Les Anabaptistes, titre qui correspond mieux à l’argument, mais qui se révélait sans doute moins accrocheur. Contrat en poche et forteresse juridique établie pour éviter toute déconvenue, Meyerbeer se met au travail et termine la partition au printemps 1841. Il exige que ce soit Pauline Viardot qui crée le rôle de Fidès, la forte mère de l’ambivalent Jean de Leyde. Mais le directeur de l’Opéra de Paris, Léon Pillet, souhaite imposer sa maîtresse d’alors, la sulfureuse Rosine Stolz. Tout comme il exige l’engagement du ténor Duprez pour le rôle de Jean lorsque Meyerbeer demande Fraschini, tout jeune ténor très apprécié de Donizetti et bientôt de Verdi. Dans ces conditions, Meyerbeer, qui avait senti venir les coups, remise son ouvrage et part tranquillement pour Berlin, où il avait accepté de diriger l’Opéra royal. La chute de Rosine Stolz quelques années plus tard, entraine celle de Pillet et son successeur Roqueplan accepte toutes les demandes du compositeur. Mais ce dernier, qui avait presque oublié sa partition, décide de la rénover de fond en comble et il faut encore attendre 18 mois avant la création, entourée de moyens exceptionnels. Le succès est énorme et ne se démentira pas pendant plusieurs décennies, avant que l’œuvre ne tombe dans un oubli durable et très regrettable tant elle est parcourue de moments magnifiques.
Voici l’un des airs les plus célèbres de cette partition phare du Grand opéra, l’occasion de rendre un hommage plein d’admiration pour l’immense Nicolaï Gedda, récemment disparu, et qui donne à son Jean toutes les nuances et la clarté dont sa merveilleuse voix était capable.