On ne sait pas grand-chose de la genèse du Persée que Lully présente à l’Académie royale de musique (Théâtre du Palais-Royal) voici tout juste 340 ans. Au moins connaît-on le librettiste, Philippe Quinault, ce qui n’est pas une surprise. On sait aussi que ce dernier s’appuie sur les Métamorphoses d’Ovide et raconte comment Persée, aimé à la fois de Mérope et d’Andromède, va triompher de la Méduse pour séduire cette dernière et comment il pétrifiera le méchant Phinée auquel Andromède était promise mais qu’elle n’aimait pas, en brandissant la tête garnie de serpents de l’affreuses Méduse, prévenu par Mérope, qui sacrifie ainsi son propre amour pour bénir celui des deux futures constellations…
C’est beau comme de l’antique, mais on n’en sait guère plus. Evidemment, outre une ouverture à la française, l’œuvre débute par un prologue conçu pour chanter les louanges de Louis XIV. Il n’en faut pas beaucoup plus pour considérer que le héros Persée, champion toutes catégories du « même-pas-peur » n’est autre que le roi à peine grimé en jupette et casque grec. Mais si on ne connaît pas bien les circonstances de la création, il apparaît néanmoins que le roi n’y a pas assisté. C’est le Dauphin Louis de France, 21 ans, qui honore de sa présence le spectacle. Pour vous faire une idée, je ne résiste pas à vous faire part du portrait qu’en fait le grinçant mémorialiste Saint-Simon :
« Monseigneur était plutôt grand que petit, fort gros, mais sans être trop entassé, l’air fort haut et noble, sans rien de rude, et il aurait eu le visage fort agréable, si M. le prince de Conti (…) ne lui avait pas cassé le nez par malheur en jouant, étant tous deux enfants. Il était d’un fort beau blond, avait le visage fort rouge de hâle partout, et fort plein, mais sans aucune physionomie ; les plus belles jambes du monde ; les pieds singulièrement petits et maigres. Presque tous ses portraits lui ressemblent bien. (…) Monseigneur était sans vice ni vertu, sans lumières ni connaissances quelconques, radicalement incapable d’en acquérir, très paresseux, sans imagination ni production, sans goût, sans choix, sans discernement, né pour l’ennui, qu’il communiquait aux autres, et pour être une boule roulante au hasard par l’impulsion d’autrui, opiniâtre et petit en tout à l’excès, de l’incroyable facilité à se prévenir et à tout croire qu’on a vue, livré aux plus pernicieuses mains, incapable d’en sortir ni de s’en apercevoir, absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres, et que, sans avoir aucune volonté de mal faire, il eût été un roi pernicieux »
Bref, on l’a échappé belle.
Mais il n’en faut pas plus pour que ses partisans, ou plutôt les courtisans qui ne pouvaient alors voir en lui que le futur roi, ne discernent sous les traits de Persée le lourd Dauphin… Et tant pis si Lully explique lui-même dans sa dédicace au souverain que c’est bien Louis XIV qui doit être vu derrière Persée.
Et de fait, lors de la reprise de l’ouvrage au mois de juillet suivant, le doute n’est plus permis. Le roi est là et il s’amuse beaucoup devant cet ouvrage. Il s’en est fallu de peu pour que tout tombe à l’eau – plutôt sous l’eau – puisque cette reprise devait avoir lieu dans la Cour de marbre à Versailles : la pluie avait empêché de réaliser le projet. Tout ce petit monde s’était alors installé dans le Manège des Grandes écuries, avec suffisamment de luxe pour que le Mercure galant en rende compte en ces termes :
« Théâtre, orchestre, haut dais, rien n’y manquait. Un très grand nombre d’orangers, d’une grosseur extraordinaire, très difficiles à remuer, et encore plus à faire monter sur le théâtre, s’y trouvèrent placés. Tout le fond était une feuillée, composée de véritables branches de verdure coupées dans la forêt. Il y avait dans le fond et parmi les orangers quantité de figures de faunes et de divinités, et un fort grand nombre de girandoles. Beaucoup de personnes qui savaient de quelle manière était ce lieu quelques heures auparavant eurent peine à croire ce qu’elles voyaient. »
Persée sera très souvent repris, notamment dès le mois d’août suivant pour la naissance du duc de Bourgogne, futur Dauphin lui-même, à l’occasion de laquelle l’opéra de Lully, principale attraction, sera donné gratuitement avec pour le peuple un fontaine de vin qui coulera sans discontinuer pendant six heures. On devine l’état général à la fin des festivités. La partition et le livret seront révisés en 1770 pour le mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette. En voici néanmoins un extrait de l’acte II de la version de 1682, avec deux lointaines héritières de Marthe le Rochois (Mérope) et de Marie Aubry (Andromède) : Monica Whicher et Marie Lenormand.