Voici 140 ans, au « nouveau théâtre tchèque », comme on appelait alors l’opéra de Prague juste avant qu’il ne devienne le Théâtre national, Bedrich Smetana présente son 7e opéra, Tajemství , en français Le secret. Ce dernier en est d’ailleurs resté un pendant de longs mois. La librettiste Eliška Krásnohorská, qui venait de collaborer avec le compositeur pour Le baiser, créé en 1876, lui avait en effet proposé un nouveau livret quelques jours après, lequel était partiellement bâti sur l’argument des Femmes et le secret de La Fontaine, auquel s’ajoutaient quelques sources éparpillées. Mais le projet est resté secret jusqu’à l’année suivante.
Smetana ne demande alors pas mieux que de composer un nouvel opéra, retiré dans un village de Bohème en raison d’une surdité croissante héritée de la syphilis, qui lui interdisait désormais de diriger des orchestres. Il compose donc, et soigne ainsi un caractère de plus en plus ombrageux et qui le conduira à l’asile psychiatrique quelques années après cette nouvelle création.
Le livret du Secret ne brille pas au firmament des grands arguments. Tout commence en fait 20 ans plus tôt : Róza Malina, sœur d’un échevin puissant, a alors refusé d’épouser le conseiller municipal Kalina au motif que celui-ci n’était pas du même rang social qu’elle. Kalina s’était consolé avec une autre femme et le voici aujourd’hui veuf et riche. Tellement riche qu’il fait même construire une maison démonstrative pile en face de celle de la famille Malina, rival politique. Evidemment, leurs enfants respectifs, Vít, fils de Kalina, et Blaženka, fille de Malina et donc nièce de Róza, s’aiment en secret. A la suite d’une rixe sur le chantier de la maison, Kalina découvre une carte au trésor héritée d’un prêtre désormais décédé appelé Barnabáš. Comme la maison lui coûte quand même une fortune mirifique – puisqu’il voulait en mettre plein la vue à Róza, qu’il aime toujours – Kalina aurait grand besoin de trouver ce trésor mystérieux. Alors qu’il explore un tunnel sous la maison de Róza, il entend son fils faire ses adieux à sa jeune amoureuse en raison de leur amour impossible, un peu comme si Roméo renonçait à Juliette par devoir ou par découragement. C’est alors que Kalina comprend que ce secret que voulait révéler Barnabáš n’était autre que cet amour autrefois défendu pour Róza et qui est le bien le plus précieux de leurs deux familles. Il se résout donc à demander à son rival la main de sa sœur pour lui-même et celle de sa fille pour son fils Vít. Malina accepte et c’est donc la fête.
Smetana attend beaucoup de sa nouvelle partition. Mais il n’obtient pas le succès escompté et l’œuvre est retirée de l’affiche assez rapidement, pour ne revenir que très épisodiquement. Certains de ses airs sont néanmoins passés à la postérité sans pour autant dépasser les frontières de Bohème. C’est le cas de la chanson de Skřivánek, chanteur brinquebalant qui passe par là, et qui donne un air idéal à Beno Blachut, ici au milieu des années 70. Ténor parmi les plus renommés de la scène tchèque du milieu du siècle dernier, Blachut a chanté les plus grands rôles, dont, chez Smetana, celui de Dalibor. A la fin des années 60 et dans la décennie suivante, ses moyens s’étant quelque peu réduits, il s’est cantonné à des rôles plus légers et à connotation comique, auxquels il a pu donner, comme ici, le zeste de tendresse qui nous fait tendre l’oreille.