Non, Fennimore und Gerda, l’ultime œuvre lyrique de Frederick Delius, n’a rien à voir avec le fameux auteur du Dernier des Mohicans. D’abord parce qu’ici Fennimore est une femme. Ensuite parce que l’action ne se passe pas du tout en Nouvelle-Angleterre, mais au Danemark… Delius était en effet tombé sous le charme de l’œuvre d’un auteur danois disparu prématurément en 1885 à 38 ans, Jans Peter Jacobsen qui avait déjà inspiré Schoenberg pour ses Gurrelieder, et plus particulièrement de son roman Niels Lyhne.
Delius en avait lu la traduction allemande (le compositeur était en effet d’origine allemande par ses parents) et l’avait adapté lui-même dans cette langue. Fennimore et Gerda n’est pas le titre original, puisque Delius avait d’abord conservé celui du roman de Jacobsen.
Le livret, relativement court, raconte dans un premier temps l’histoire dramatique de Niels, un écrivain amoureux de Fennimore, fille d’un consul. La jeune femme est également courtisée par un peintre, Erik Relfstrup, qu’elle finit par épouser. Mais Erik sombre dans l’alcool et la violence. Fennimore cherche donc du réconfort auprès de Niels. La mort accidentelle d’Erik la plonge toutefois dans un sentiment de culpabilité très profond, si bien qu’elle rejette Niels avec dégoût avant de s’effondrer elle-même. Au départ, l’adaptation de Delius s’arrêtait là, alors que le roman racontait la rencontre d’un Niels blessé par cette tragédie avec Gerda, avec qui il retrouve goût à la vie. Mais il perdra aussi Gerda et leur fils unique avant de mourir lui-même lors de la guerre prusso-danoise de 1864… Jacobsen était comme on le voit un auteur joyeux !
Delius décide sur le tard d’adapter la première partie heureuse de ce second volet de la vie de Niels Lyhne, et sur 3 des 11 tableaux que compte l’opéra, il décrit le bonheur simple qui s’est reconstruit. La création de cette œuvre composée en 1908 et 1909 et plutôt brève sera toutefois retardée par la guerre, l’opéra de Cologne devant la monter en 1914. Il faudra attendre 1919 et un déplacement à Francfort pour que cette œuvre dense sur le plan musical, très symphonique, soit enfin présentée au public, voici tout juste 100 ans.
C’est le dernier opéra de Delius, déjà touché par les premiers symptômes de la syphilis contractée dans les années 1880, et qui le rendra aveugle et paralysé quelques années plus tard, alors qu’il vit déjà depuis de longues années en France, à Grez-sur-Loing, près de Fontainebleau.
Voici le dernier tableau de cette œuvre bien oubliée et pourtant fort belle, ici avec l’orchestre symphonique de la radio nationale danoise sous la baguette du regretté Richard Hickox.