Venu à l’art lyrique à plus de 40 ans et même pour de bon à 50, Rameau s’est d’abord essayé à la grande tragédie, non sans succès mais non sans cabales non plus. Après Hippolyte et Aricie, il se tourne en 1734 vers un genre alors très en vogue et qui rencontre les vives faveurs du public : la comédie-ballet, qui alterne chant, ensembles et danses. Il demande pour cela un livret à Louis Fuzelier, son aîné de 11 ans, qui est l’auteur de nombreuses pièces comiques pour de petites troupes de théâtre mais qui est également très expérimenté dans le domaine lyrique. Ce sera leur seule collaboration et quitte à coller à la mode de l’époque, Fuzelier imagine un sujet exotique qui aura pour cadre les Indes. Il faut cependant noter que ces Indes-ci prennent une acception très vaste : c’est en gros tout ce qui n’est pas Européen, même si dans le Prologue, Hébé convoque les « Quatre Nations qui célèbrent l’Amour et le plaisir » (France, Espagne, Italie et Pologne ; tant pis pour les autres…) avant de lancer le signal du voyage pour Bellone, déesse belliqueuse dont l’Amour est chargé de modérer les ardeurs en la suivant partout dans ces Indes galantes.
Rameau et Fuzelier écrivent pour l’Académie royale de musique une œuvre qui comporte, lorsqu’elle est créée ce 23 août 1735, un prologue et deux entrées : le Turc généreux et les Incas du Pérou. L’accueil est mitigé mais très vite, dès le 28 août, les deux auteurs ajoutent une nouvelle entrée, les Fleurs, fête persane, qui sera vite un peu amendée elle-même en raison de son sujet jugé assez licencieux (un homme, notamment, s’y travestit). La partition restera comme telle encore pendant quelques mois, puis une quatrième et dernière entrée est ajoutée en mars 1736, celle des Sauvages qui se conclut avec la danse du grand calumet de la paix.
La critique ne sera pas tendre pour Rameau (qui deviendra vite surentraîné en la matière…), le Mercure de France dénonçant par exemple des libertés choquantes (et pas seulement géographiques) et ne saluant bon gré mal gré que la seconde entrée, celle des Incas. L’œuvre se maintient néanmoins au répertoire jusqu’à la mort de Rameau, puis connaît une longue éclipse avant de renaître dans son entièreté au début des années 1970, lorsque, coup sur coup, Jean-François Paillard et Jean-Claude Malgoire en publient chacun une intégrale.
Pour ne pas déplaire, avec 265 ans d’écart, au vénérable Mercure de France, voici un extrait de la deuxième entrée, avec l’incontournable fête du Soleil, sous la direction d’un autre pionnier de l’interprétation de cette partition (entre autres !), William Christie à la tête de ses Arts Florissants, pour l’Opéra de Paris, lequel n’avait pas encore décidé de faire revisiter totalement l’œuvre plus récemment…