Il a fallu bien du temps et des efforts pour que le Château de Barbe-bleue, encensé aujourd’hui comme l’un des grands chefs d’œuvre de l’opéra contemporain, voie enfin le jour.
Tout commence au début des années 1910 avec le librettiste Béla Balász qui, fortement aiguillonné par l’Ariane et Barbe-bleue de Maurice Maeterlinck, qui avait servi de trame à l’opéra éponyme de Dukas, en propose une adaptation aux deux grands compositeurs hongrois du moment, Béla Bartók et Zoltán Kodály. Après quelques hésitations, ce dernier décline la proposition, laissant la voie libre à un Bartók fasciné par ce texte. Il termine son ambitieuse partition à l’automne 1911 et la présente à un concours d’œuvres lyriques originales destinées à valoriser la langue hongroise. Mais le jury rejette une musique jugée « injouable ». Peu après, le prestigieux opéra de Budapest prononce la même sentence, laissant Bartók désemparé. L’œuvre est donc rangée dans un tiroir pendant plus de 5 ans. La renommée du compositeur grandit dans cet intervalle et on finit par accepter de réexaminer l’ouvrage. Mais les musiciens de l’Opéra de Budapest rechignent encore, trouvant décidément cette partition trop difficile. C’est le chef italien Egisto Tango, directeur de l’opéra depuis 1913, qui impose l’œuvre à ses troupes et permet son succès, également dû aux premiers interprètes, Oszkár Kálmán et Olga Haselbeck, couplée à une reprise du ballet Le prince de bois, il y a tout juste 100 ans.
Œuvre concise et presque exclusivement concentrée sur ses deux personnages (ici, Ariane devient Judith), il est évident que c’est avant tout le fantastique orchestre de Bartók qui en est l’acteur prépondérant, développant des sonorités miraculeuses au très fort pouvoir évocateur. Voici la scène finale, la 7e porte, dans une version filmée au début des années 80, l’orchestre étant dirigé par un autre hongrois, Georg Solti, avec Sylvia Sass en Judith et Kolós Kováts en Barbe-bleue.