Au commencement est un poème de Walter Scott, qui date de 1810, et qui est intitulé « The lady of the lake », lequel entremêle déjà plusieurs histoires dans une seule. Ce poème couvre de gloire celui qui est déjà, à 39 ans, très renommé dans toute l’Ecosse. Son nom et ses histoires de fantômes et de brume commencent d’ailleurs à sortir des frontières des Highlands. La Dame du Lac, en particulier, atterrit dans les mains de Rossini quelques années après sa parution, dans une traduction française. Il semble en effet que ce soit un lauréat du prix de Rome 1817, Désiré-Alexandre Batton, qui le lui ait présenté. Ça tombe bien, Rossini vient d’être sollicité par le grand impresario et patron du Teatro San Carlo de Naples, Barbaja, pour écrire au pied levé une nouvelle œuvre, Spontini lui ayant claqué entre les doigts pour rentrer à Berlin, où il était maître de chapelle du roi de Prusse, lequel ne tolérait plus ses absences… Barbaja n’est pas rancunier, il appelle Rossini malgré le terrible échec d’Ermione au début de 2019.
Preuve qu’en plus de ne pas être rancunier, Barbaja n’est pas davantage superstitieux, le livret est confié à Andrea Leone Tottola, qui avait déjà réalisé Mosè in Egitto et…. Ermione pour Rossini.
Mais la nouveauté réside plutôt dans la musique. Rossini prend en effet à bras le corps l’atmosphère qu’on qualifie déjà de « romantique ». Bien qu’il n’ait jamais mis les pieds en Ecosse, Rossini emploie des instruments et des tournures censés la rappeler et la décrire, au moins dans l’instrumentation, utilisant des sons alors plutôt rares, comme la harpe, accentuant les contrastes entre moments éthérés, dans les brumes des Highlands, au milieu de la nature sauvage, et les élans guerriers, presque féroces, le tout sans rien retirer des pyrotechnies exigées des chanteurs, et annonçant Bellini et Donizetti. Une fois n’est pas coutume, ce melodramma finit bien, par un triomphe qui plaira assez au jeune compositeur pour qu’il le recycle à peine 3 mois plus tard à Milan pour Bianca et Falliero.
Au soir de ce 24 septembre 1819, le public napolitain est circonspect. Pas assez agacé pour faire chuter l’œuvre et pas assez enthousiaste pour parler de succès. La nouveauté de ce qu’il entend le rend indécis. Mais dans les jours qui suivent, les faveurs du public se font plus bruyantes et se transforment en vrai triomphe, qui permettra à l’œuvre de rester à l’affiche, au moins à Naples, durant de longues années, ainsi que dans toute l’Europe. Redécouvert au milieu du XXème siècle en même temps que la « renaissance rossinienne », l’opéra est désormais régulièrement repris, même s’il est difficile à distribuer car il faut au moins 5 voix de premier plan. Il faut d’ailleurs souligner que c’est Isabella Colbran, future épouse de Rossini, qui crée le rôle d’Elena, la dame du lac, qui n’a d’ailleurs rien d’un fantôme !
Puisqu’il s’agit d’un bicentenaire, j’en ai choisi un autre pour célébrer cette partition majeure de Rossini. Pour célébrer les 200ème anniversaire de la naissance du cygne de Pesaro, la Scala de Milan avait monté en 1992 une production de la Donna del Lago, réglée par Werner Herzog, sous la direction de l’impérial Muti, avec la non moins impériale June Anderson dans le rôle d’Elena, mais aussi Rockwell Blake, Chris Merritt, Martine Dupuy et Giorgio Surian. Production qui a fait date, mais qui a aussi ses détracteurs et dont voici le fameux finale « Tanti affetti ».