Leurs deux premières collaborations avaient abouti à des chefs-d’œuvre âpres et violents, comme l’étaient les sujets à partir desquels les livrets avaient été construits. Pour la troisième, Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss veulent donc passer à autre chose, changer d’atmosphère et de style. Quoi de mieux pour cela que de revenir à la fraîcheur mozartienne (d’ailleurs Così n’a-t-il pas été créé un 26 janvier également ?) et ainsi prendre le contrepied des passions morbides et de la soif de vengeance de leurs précédentes héroïnes Salomé et Elektra ?
D’héroïnes il sera d’ailleurs à nouveau question dans ce Chevalier à la rose, qui germe dans l’esprit de Hofmannsthal depuis 1908, à partir de sources éparses, et notamment françaises (« Les amours du chevalier de Faublas » de Louvet de Couvrai ; voire même « Monsieur de Pourceaugnac » de Molière). Non seulement la nostalgique Maréchale en est le personnage central et la jeune Sophie la future fiancée destinataire de la fameuse rose, mais Octavian, le fougueux et maladroit amant de la première et bientôt amoureux de la seconde, est un rôle travesti. Si bien qu’à part le truculent et très rustre baron Ochs et quelques comprimari secondaires, le plateau est tenu par des femmes et tout tourne autour d’elles.
Une fois l’idée fixée dans son esprit, le librettiste se hâte comme toujours lentement et envoie au compte-goutte les différentes scènes à un Strauss dont l’inspiration inépuisable semble transformer le compositeur en locomotive qui engloutit séance tenante tout le combustible à disposition. En juin 1910, la partition est plus ou moins achevée, mais le titre n’est pas encore trouvé (ce sera presque jusqu’au jour de la première « Ochs auf Lerchenau »… on l’a échappé belle !) et on ne compte plus les modifications, variations, versions pour complaire à tel ou tel théâtre, et en premier lieu celui où doit avoir lieu la première : Dresde.
La distribution annoncée réunit des chanteurs que Strauss connaît bien, en particulier Margarethe Siems pour la Maréchale – elle avait été sa première Chrysothémis – ou encore la basse Karl Perron pour Ochs, premier Jochanaan et Oreste.
La perspective de ce nouvel opéra si différent des précédents suscite une curiosité publique très forte. Les billets s’arrachent très tôt et très vite. Le soir de la première, voici 110 ans, dans les somptueux décors d’Alfred Roller, l’un des maîtres de la Sécession viennoise, et sous la direction très remarquée d’Ernst von Schuch – également créateur de Salome et d’Elektra – l’œuvre remporte très vite un triomphe qui ne se démentira plus jamais, devenant même du vivant du compositeur son œuvre la plus populaire.
Pour évoquer le Chevalier à la rose, il faut bien parler de la rose ! L’une des plus belles scènes de l’œuvre est donc la présentation par le chevalier Octavian de la rose d’argent par laquelle il vient demander la main de la jeune Sophie pour le vieux baron Ochs. Les choses, vous le savez, ne se passeront pas tout à fait comme cela… Voici cette scène dans la vénérable et inusable mise en scène d’Otto Schenk pour l’opéra de Munich, avec – excusez du peu – Brigitte Fassbaender en Octavian et Lucia Popp en Sophie. La mise en scène, créée en 1972 et qui sera reprise pendant 46 ans, peut paraître un rien datée, mais ici, en 1979, la direction de Carlos Kleiber – insurpassé dans cette œuvre – n’a, elle, pas pris une ride.