A l’occasion du centenaire de sa création, nous republions cet article consacré à Ciboulette de Reynaldo Hahn.
En 1923, Reynaldo Hahn a déjà une solide réputation dans le monde musical et bénéficie d’une forte aura due à sa vaste culture et à un caractère agréable, distingué et généreux qu’aime tant Proust, son ancien amant et son ami éternel. À 45 ans en 1920, ce Vénézuélien naturalisé français en 1912, a mis sa science musicale, acquise au Conservatoire auprès, au service de la mélodie, dans laquelle il excelle, chantant lui-même dans nombre de salons mondains qu’il fréquente assidument. Son catalogue compte également de nombreuses pièces pour piano, quelques morceaux symphoniques bien oubliés aujourd’hui, une pincée de musique de chambre et de rares opéras-comiques. C’est à un genre qui n’est pas encore suranné au tournant des années 20 qu’il va s’intéresser pour la première fois : l’opérette.
En effet, pour répondre à l’influence croissante des ragtimes venus des États-Unis pendant et après la guerre et que Hahn n’apprécie pas, parlant d’une « terrible maladie importée d’Amérique qui fait partout d’affreux ravages : la syncopite infectieuse », le directeur du Figaro, Robert de Flers, lui propose le livret d’une opérette. Hahn est depuis 1921 le critique musical attitré du journal et De Flers est un ami d’enfance. Ce dernier lui envoie en effet un télégramme : « Acceptez-vous composer musique opérette dans cadre Halles comme Fille Angot ? Amicalement. Flers ».
Le directeur du journal est lui-même auteur ou co-auteur de nombreuses comédies pour le théâtre et travaille avec deux comparses, Armand de Caillavet et Francis de Croisset, pour tricoter le livret de Ciboulette.
Reynaldo Hahn est emballé. La référence à la Fille de Mme Angot de Lecocq dans le télégramme de Flers fait mouche : le voici dépositaire de la tradition de l’opérette française hérité de la seconde moitié du siècle précédent, incarnée par Offenbach, bien sûr, mais aussi, dans un registre un peu différent par Lecocq, Hervé, Audran et plus récemment Messager. « Ciboulette s’inscrira en réaction contre le goût contemporain teinté d’un fâcheux américanisme : il s’agit de produire une opérette bien traditionnelle, bien française, et de la réussir ! » écrit-il. Il hésite cependant sur le titre, qui ne lui plait pas beaucoup et préférerait « Citronette » ( !). Mais Ciboulette n’est que le surnom aimable d’une jeune maraîchère qui s’appelle plutôt Marie-Jeanne et c’est finalement le sobriquet retenu.
Hahn imagine une musique aérienne et gracieuse qui illumine l’œuvre mais tout autant le commanditaire : « Je ne connais rien de plus frais et de plus délicat. Sa musique embaume le muguet ! » s’écrie de Flers en découvrant la partition.
Hahn n’est pas aussi sûr de son œuvre. Le soir de la première au Théâtre des Variétés, voici 97 ans, il préfère aller au cinéma. Pris d’un petit doute, tout de même, il fait un détour vers le théâtre en sortant de sa projection. Une foule y est amassée et Francis de Croisset, reconnaissant Hahn, le tire littéralement vers la scène où le compositeur remporte un triomphe mémorable, dû tout autant à sa musique qu’à ses interprètes ce soir là. La critique est à l’avenant et il faut bien reconnaître qu’il s’agit aujourd’hui de la seule œuvre de Reynaldo Hahn encore régulièrement jouée de nos jours.
Une « musique qui embaume le muguet » ? Certes, aujourd’hui délicieusement surannée, mais aussi qui ne manque pas de tendresse, comme dans « Y’a des arbres, c’est sa banlieue », magnifié par Julie Fuchs dans un disque récital récent et rafraichissant.