Non, il ne se trompe pas, le jeune Rossini, pas encore 20 ans, lorsqu’il crée voici 210 ans L’Inganno felice au Teatro San Moisé de Venise. Il joue pourtant gros, ce jour-là. Son précédent opéra, L’Equivoco stravagante avait connu moins de trois mois auparavant à Bologne une violente déconvenue, où l’avait plongée cette histoire étrange dans lequel il était question d’un faux castrat ou d’un vrai travesti, qui n’avait pas eu l’heur de plaire à la censure locale. La pièce était partie en fumée après trois représentations.
Le jeune compositeur sait donc qu’il n’a pas droit à l’erreur s’il veut rebondir. Il lui faut donc se prémunir des livrets hasardeux et pour la commande que lui passe le théâtre vénitien, il va opter pour un texte déjà mis en musique avant lui par Paisiello (décidément… il refera le coup avec le Barbier quelques années plus tard) et écrit par Giuseppe Foppa (ça ne s’invente pas). On y trouve ce qu’il faut de barbon, de gentils, de méchants, d’héroïnes à sauver, de quiproquos… en somme d’heureux stratagèmes et autres joyeuses méprises pour que cette farsa en un acte atteigne sa cible.
Mais il lui faut aussi une musique qui puisse fouetter cette vieille histoire qui trouve son origine dans La Griselda de Boccacio. Rossini va l’écrire en un mois et tout emporter, avec cette électricité qui va très vite faire sa gloire.
Le succès vénitien est total et il dépassera bien vite les limites de la lagune pour conquérir l’Europe. Stendhal, dans sa Vie de Rossini (qui dresse la biographie d’un jeune trentenaire !), ne s’y trompera pas : « Ici le génie éclate de toutes parts. Un œil exercé reconnaît sans peine, dans cet opéra en un acte, les idées mères de quinze ou vingt morceaux, qui plus tard ont fait la fortune des chefs-d’œuvre de Rossini. ». Les commandes vont en effet pleuvoir et le compositeur devra beaucoup recycler. Mais qui s’en plaindra ? Comme l’écrit Piotr Kaminski dans son indispensable Mille et un opéras, Rossini est avec L’Equivoco stravagante « soudain devenu lui-même ».
En voici une preuve avec ce duo buffo entre Tarabotto et Batone, alias Giorgio Tadeo et Paolo Montarsolo à Naples, en 1963.