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NOTRE ANNEE MOZART : COUP D’ENVOI
Forum Opéra ne saurait se
soustraire entièrement à la vogue irritante des
commémorations, fussent-elles entachées par la
vulgarité du marketing et du tourisme de masse. Nous
célébrerons donc Mozart, nous aussi. C’est
qu’on l’aime beaucoup, Mozart. On nous dira : Et Marin
Marais ? ses quatre-cent-cinquante ans ? Je
répondrai : oui, il y a aussi mon ami Jean-Claude qui
fêtera ses trente-sept ans cette année… Marin,
c’est plus confidentiel. On serait plus entre soi. Mais Wolfgang,
tout de même… Pour s’en convaincre, jetons un
œil avide et acquérons d’urgence le trésor
que nous livrent les éditions Textuel : le
fac-similé du manuscrit de Don Giovanni, conservé à la Bibliothèque Nationale de France.
Certains savent sans doute que le manuscrit original du Don Giovanni de
Mozart est conservé à la Bibliothèque Nationale,
dite Bibliothèque Nationale de France (car il convient de ne pas
oublier qu’il existe des Bibliothèques Nationales de
l’Etranger). Cette bonne fortune nationale n’est pour une
fois pas due au pillage ni à quelque hommage de l’Art
à notre sainte patrie. Plus simplement, la gracieuse Constance
Mozart avait en 1800 vendu ledit manuscrit à
l’éditeur Johann André, de Francfort. Le gendre de
celui-ci le remit en vente en 1854, par annonce dans le journal.
Pauline Viardot s’en porta acquéreur pour 5000 Francs.
Dès cette acquisition, elle fit fabriquer un coffret de thuya
garni de solides ferrures en cuivre. Le manuscrit même fut
relié dans un portefeuille de cuir couleur lilas. Elle put en
offrir la contemplation au monde qu’elle recevait en ses salons
et lors de ses tournées. C’est le 6 juillet 1892 que cette
grande interprète décida de faire don de son
trésor à la Bibliothèque du Conservatoire. Chaque
page du manuscrit porte l’estampille rouge de cette
bibliothèque, rattachée en 1895 à la
Bibliothèque Nationale. Le manuscrit y est depuis
déposé sous la référence Ms.1548. Il est de
temps à autre tiré de son sommeil par les
spécialistes désireux d’établir les
éditions les plus fidèles. L’histoire ne dit pas si
le coffret est ouvert aux pèlerins anonymes désireux de
toucher une sainte relique, tel Rossini tombant à genoux devant
l’objet et rendant les armes devant le génie de Mozart.
Le livre que présentent les éditions TEXTUEL a
été mentionné dans nombre de publications comme
une bonne idée de cadeau de Noël. Nous comptions pour notre
part faire de même, et inciter nos lecteurs à inscrire cet
ouvrage sur leur liste de cadeaux.
Nous nous sommes ravisé. Tout simplement parce qu’il nous
a paru sacrilège, ou, pour le dire moins pompeusement,
carrément ignoble, de ranger cet ouvrage parmi le tout-venant de
la grande foire annuelle, entre le dernier Bernard Werber et le
Babyliss dépilatoire pour maillot récalcitrant - et que
dire de l’affolante mode des écrans plats, dont un
chauffeur de taxi niçois me disait encore récemment
qu’ils permettaient de « ne rien rater des feintes de
pied de Ronaldinho » ?
Bref, l’immersion de cet ouvrage parmi la masse fétide des
biens de consommation immédiate nous répugna.
Car c’est littéralement dans l’attitude
précante de celui que visite l’Esprit que nous avons
lu ce manuscrit, dans cet écrasement qui frappe le
pèlerin lorsqu’il aperçoit la flèche de
Chartres.
Nous ne redoutions pas peu, avouons-le, les notices explicatives de
Madame Catherine Massip, et de Messieurs Gilles Cantagrel et Emmanuel
Reibel. C’est que nous craignons les universitaires, et dona ferentes.
Mais par bonheur, ces trois auteurs, esprits fins et de haute culture
s’il en est, ont absolument respecté la haute
dignité de leur objet. Leurs contributions sont historiquement
intéressantes, et d’une pertinence sans arrogance.
Surtout, elles pointent dans le manuscrit des traits saillants, des
points névralgiques qui aiguisent la lecture du pauvre profane.
Le manuscrit lui-même ?
Avant toute religiosité empressée, mesurons le travail de
l’artisan-artiste. Au non-initié à peine capable de
tracer une clef de sol, le spectacle des partitions manuscrites offre
toujours maint prétexte d’émerveillement. Mais dans
ce cas précis, comment n’être pas frappé par
la netteté même de l’écriture, sa
nervosité extrême, témoin l’économie
d’écriture de l’ouverture même,
composée, selon la légende, dans la nuit
précédant la première ? Partout cette graphie
appuyée, projetée vers l’avant – notamment
dans des récitatifs paraissant comme jetés à la
diable, mais aussi dans la scène du banquet, où
l’écriture fouette les sangs.
Certes, ne le nions pas : il y a quelque fétichisme dans le
culte des manuscrits, et dans ce cas précis, il y a sans doute
quelque idolâtrie. N’importe ! C’est à la
loupe parfois qu’on se surprend à déchiffrer
l’écriture de Mozart. C’est avec une fièvre
sans pareille que l’on parcourt les pages parfois
chargées, parfois étonnamment allégées de
signes. C’est avec une émotion véritable que
l’on capte le chef-d’œuvre dans son
immédiateté la plus absolue : entre le moment
où l’esprit le conçoit et où la main le
consigne. L’on croit – et l’on sait que c’est
une illusion digne de Monsieur Prudhomme – entrer dans les
secrets de la création, dans l’atelier du génie. En
même temps se conçoit la ténuité radicale de
ce génie même, tout ce qu’il a d’insaisissable
– et partant de désespérant.
En ce sens, le présent ouvrage ne sera objet que
d’adoration et de contemplation, ne livrant aucun secret, ne
trahissant aucun des mystères de la conception du
chef-d’œuvre. Et pour cela même, il sera de ces rares
témoignages dans lesquels on se confronte, yeux dans les yeux,
avec une profondeur qui nous dépasse, et nous écrase,
parce qu’elle est simple grandeur.
Sylvain Fort
Don Giovanni de Mozart, Le Manuscrit.
Sous la direction de Gilles Cantagrel, Présenté et
commenté par Catherine Massip et Emmanuel Reibel. Editions
Textuel. 128 pages, 330x240mm. 50 Euros.
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