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Cinq questions à Lucile Richardot

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Interview
12 juin 2017
Cinq questions à Lucile Richardot

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Lucile Richardot aurait-elle développé le don d’ubiquité ? Elle semble partout, sur scène (Monteverdi et Vivaldi) comme au disque (Stravaganza d’Amore), il n’y a guère que dans les médias où sa présence se fait plus discrète. A l’affiche d’une nouvelle production de l’Arsilda de Vivaldi les 13 et 15 juin au Théâtre de Caen puis les 23 et 25 juin à l’Opéra royal de Versailles, la chanteuse n’a rien d’une diva mais la simplicité des plus grands.    


Après avoir exercé la profession de journaliste quelques années, vous avez décidé de faire de la musique votre métier. Comment avez-vous développé cette voix singulière et immédiatement reconnaissable – tellement singulière d’ailleurs que certains rédacteurs de programmes semblent avoir du mal à la classer et vous présentent comme mezzo/alto ?

Enfant, j’ai toujours chanté et à l’âge de onze ans, j’ai rejoint la manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Lorraine dirigée alors par Alain Bérat et l’année suivante par Geoffroy Jourdain. Alors que j’étais dans les sopranos I, où j’avais de temps en temps des petits solos, j’ai été frappée par la mue et je l’ai d’abord mal vécu, car je me sentais « rétrogradée » au milieu de l’harmonie. Plus tard, comme journaliste, je manquais de travail, je cherchais constamment des piges et j’avais du mal à gagner ma vie.  Le chant n’était qu’un loisir, mais je lui consacrais beaucoup de temps. J’ai réussi l’examen d’entrée au Conservatoire du Ve arrondissement puis j’ai vu une affiche de la Maîtrise de Notre-Dame, qui recrutait et tout s’est décidé assez vite. J’ai réalisé que c’était pratiquement un travail à temps plein, tout autre chose que des piges vaguement rémunératrices, ce qui m’obligeait à choisir définitivement entre les deux activités. 

On pourrait penser qu’il faut avoir du courage pour abandonner le journalisme et tenter sa chance dans la musique, mais j’étais désœuvrée et démotivée, je voulais vraiment être journaliste mais j’avais perdu la « foi », je n’avais donc rien à perdre. Si le journalisme était mon premier rêve, je n’assumais pas complètement mon désir de faire du chant. Mes parents m’avaient permis de faire des études et je craignais « bêtement » de brader ce bagage…

Concernant la dénomination mezzo/alto, je ne peux pas m’identifier à l’interprète de Chérubin ni à un contralto, qui est une voix très spécifique, fort grave et avec une autre noirceur, d’autre part, j’ai aussi des aigus. Le mieux que j’ai trouvé est donc mezzo avec des graves d’alto, il y a là une sorte de no man’s land, une lacune dans la typologie, beaucoup plus précise pour les sopranos ou les ténors.

Dans Arsilda, le trouble ne procède pas seulement du travestissement, mais passe aussi par l’oreille. Le fait que votre personnage, Lisea, ait une voix fort sombre et que son amant, Barzane, ait celle d’un soprano était banal à l’époque de Vivaldi mais aujourd’hui, n’est-ce pas subversif ?

Je ne m’en rends pas compte. Lorsque je chante, il me semble avoir une voix féminine. Au début, j’avais demandé à David Radok s’il souhaitait que je cherche à travestir ma voix pour coller davantage à la mise en scène lorsque Lisea se fait passer pour Tamese [le propre frère de Lisea], mais cela ne l’intéressait pas vraiment.  Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un fossé entre ma voix et celle de Justin [Kangmin Justin Kim]  qui est une véritable hirondelle, mais une hirondelle au coffre puissant ! Cela dit, j’ai toujours su qu’en tant que mezzo, je serais davantage amenée à interpréter des rôles travestis ou du moins androgynes, que des rôles en crinoline !

Vous faites le grand écart en ce moment, en alternant Monteverdi et Vivaldi. Comment vous y êtes-vous préparée, en particulier avec Sir John Eliot Gardiner ?

On me pose souvent la question. Heureusement, je ne donne qu’un programme à la fois. J’attends le matin pour me replonger dans la partition du jour, afin d’éviter toute confusion. Le soir, en pleine représentation, je suis concentrée et ne me rappelle absolument pas ce que je vais chanter le lendemain ou le surlendemain. Mais quand on a bien travaillé un rôle, lorsqu’on reprend la partition le matin, ça revient tout seul. En réalité, il y a plus de différence chez Monteverdi, entre Pénélope et la Messaggera, qu’entre Pénélope et Lisea, qui ne sont pas si éloignées sur le plan vocal et dramatique. Arnalta est également épuisante, sa partie est vraiment très grave et habituellement confiée à des ténors haute-contre, d’ailleurs, elle oscille entre des moments bouffes et d’autres plus mélancoliques et ces changements d’esprit exigent que vous soyez parfaitement au point. Si Pénélope est très présente sur scène, Arnalta y apparaît moins, mais ses interventions sont très fortes, il faut être immédiatement dedans, à fond ! C’est la même chose avec la Messaggera… Mais une octave au-dessus. J’ignore comment je ferai lorsqu’il faudra enchaîner la trilogie en quelques jours, ce sera un marathon très intense, sans que la tension puisse vraiment retomber. 

Pour ce qui est de la préparation, j’ai dû apprendre les rôles dans l’urgence, aussi bien Vivaldi que Monteverdi. Les partitions me sont parvenues très tard, en plus pas forcément dans la bonne édition ou avec les coupes définitives, et j’ai appris Pénélope en deux semaines. J’ai regardé pas mal de vidéos de différentes productions des opéras de Monteverdi et notre session de travail, en avril 2016, à Venise, avait permis de poser des jalons importants avec l’équipe du Monteverdi Choir. Elsa Rooke nous a beaucoup aidés à cerner chaque personnage et à compléter les indications de Gardiner. Il était assez ouvert à nos propositions ; par exemple, sur un passage comme le premier lamento de Pénélope c’est comme un seul-en-scène, une carte blanche où celui qui suffoque et crie est, au final, seul maître à bord pour imposer les temps de suspension ou d’accélération nécessaires. Mon chef de chant habituel (Florian Carré) connaît aussi fort bien Monteverdi et m’a beaucoup aidée.

Que vous interprétiez la Lettera amorosa de Monteverdi ou une mad song de Purcell, on est frappé par l’importance que vous accordez au texte, parfaitement intelligible quelle que soit la langue. Vous ne maîtrisez pas seulement leur prononciation mais aussi leur musicalité intrinsèque, ce qui n’est pas donné à tous les chanteurs…

Autrefois, j’avais pas mal de problèmes avec l’italien, je ne comprenais pas comment chanter trois ou quatre voyelles comprimées en une seule diphtongue sur une seule triple croche, par exemple ! Il y avait ainsi plein de micro détails d’écriture et de prosodie qui constituaient vraiment un frein dans l’apprentissage de certains répertoires. Lorsque j’ai rejoint la Maîtrise de Notre-Dame, j’ai non seulement réactivé ma connaissance de l’anglais et de l’allemand, que j’avais étudiés au lycée, mais j’ai aussi pris des cours d’italien. Par ailleurs, j’ai d’abord chanté dans les chœurs, or ils ont tendance à sur-articuler, sans quoi le texte est vite incompréhensible. En dix ans dans ce métier, j’ai eu le temps de décanter, toutes ces informations ont infusé peu à peu dans mon esprit, surtout au contact de différents coachs comme Barbara Nestola ou Rita de Letteriis qui conseillaient de nombreuses productions. Je me sens plus à l’aise avec une langue comme l’italien, bien que ne la parlant pas couramment, et cette habitude de surligner m’aide sans doute aussi à faire passer le texte.  En plus, évidemment, de l’amour naturel des mots qui font partie intégrante de la musique !

Vous affectionnez les répertoires intimistes, que vous défendez, notamment, avec l’Ensemble Correspondance ou avec votre propre ensemble, Tictactus, mais cette année semble marquer un tournant dans votre carrière lyrique. Quels rôles rêvez-vous d’aborder ?

Effectivement, c’est la première année où je fais autant de scène et avec tant de rôles de premier plan. Seule, sans agent, ce n’est pas évident, ceux-ci peuvent être très influents et certains théâtres sont verrouillés par eux, il faut alors être invitée par un chef qui a suffisamment d’ascendant pour vous imposer. Mais j’adore travailler avec des ensembles comme Correspondances ou Pygmalion, c’est ma famille de cœur et ils me manquent en ce moment.

Je suis très attirée par Poulenc, Debussy, Britten, mais aussi d’autres compositeurs anglo-saxons, Menotti, etc. Je n’ai pas encore assez de pratique, ni d’assurance, et j’ai surtout une énorme étiquette baroque ou contemporain, mais à moyen terme, j’aimerais beaucoup aborder Les Dialogues des Carmélites. Je les travaille d’ailleurs de temps en temps. Même si l’espoir du chef d’œuvre dont on serait le premier interprète n’est pas toujours au rendez-vous, la création contemporaine m’intéresse toujours. Je voudrais explorer également Haendel (Goffredo dans Rinaldo est prévu), mais en même temps j’aime bien sortir de la musique ancienne et donner des récitals de musique de chambre, avec piano ou quatuor à cordes.    

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