Le 25 ou le 26 mars, la proposition de baisser la subvention annuelle allouée à l’Opéra National de Lyon de 500 000 € sera sans nul doute entérinée par le Conseil municipal. Comment en est-on arrivé là ?
Cette baisse, à en croire Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe en charge de la Culture, représente moins de 3 % de l’aide de la ville (aide globale : 17 millions d’euros, près de la moitié du budget de fonctionnement). L’Opéra dispose d’un fonds de trésorerie de 4 millions d’euros, est-il rappelé. « On rééquilibre les subventions pour accompagner la création » déclare-t-elle, sitôt contredite par Serge Dorny, qui connaît son sujet. Le Directeur de l’Opéra de relever aussi que « cette baisse s’applique à l’exercice 2021, engagé depuis plus de deux mois », soulignant que le budget de l’institution a été voté à l’unanimité le 11 décembre dernier, en présence de l’adjointe à la culture.
Comment ne pas rapprocher cet épisode des précédents grenoblois, des annonces faites à Bordeaux et à Strasbourg, ces quatre villes ayant en commun d’être gérées par un maire écologiste, depuis sept ans pour Grenoble, depuis les dernières élections pour les suivantes ?
La culture du circuit-court
En 2014, lorsque Eric Piolle, écologiste allié à LFI et à différentes petites formations de gauche, ravit Grenoble aux socialistes, avec l’appui de la grande majorité des acteurs culturels, c’est la première fois que ce courant politique prend les commandes d’une grande ville. Le changement de doctrine culturelle est radical. Finie la Culture au singulier, place aux Cultures au pluriel, la première étant sans doute élitiste, parisienne et verticale.
Les intellectuels, les riches, les centralisateurs, les institutions, cibles futures des Gilets jaunes, sont déjà dans la ligne de mire. L’adjointe « aux cultures » de l’époque affirme : « j’ai de la chance par rapport à mes collègues de Bordeaux, Strasbourg ou Lyon [c’était prémonitoire], je n’ai pas d’opéra ! ». La rupture est brutale. Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre-Grenoble voient leur subvention (480 000 euros) supprimée, sans préavis. Bordeaux choisit le chef pour diriger son opéra mais, le nouveau maire, Vert lui aussi, décide de ne pas renouveler son contrat dans un contexte social difficile…
Pour revenir à Grenoble, la municipalisation des institutions culturelles fait fi des financements croisés et aboutit à un appauvrissement réel de l’activité. Les hiérarchies artistiques sont niées. Quant aux institutions et à leurs acteurs, ils sont vécus comme autant de sources d’oppression. Le Maire a municipalisé, avec une stratégie « localiste », le local doit primer sur le national et l’international. Les circuits-courts artistiques, un entre-soi régionaliste, teinté de dirigisme. Le discours anti-élites, partagé par les radicalités politiques des deux bords, est légitimé.
Joël Pommerat signe une tribune au vitriol qui résume la situation à laquelle conduit la municipalité : « Voilà ce que je retiens de cette politique (…). C’est un cocktail, un bazar, un agglomérat de pièces hétéroclites, foutras idéologique (…) Les artistes professionnels sont des nantis, tout le monde est artiste (…) en passant par l’aspiration révolutionnaire à la décroissance (la sobriété et la frugalité doivent être également appliquées à la culture, qui est une activité humaine comme les autres) ». Frédéric Martel, quant à lui, a rencontré tous les acteurs pour France-Culture (sans « s » !) et a livré les conclusions de son enquête le 26 février. Celles-ci sont éfidiantes : « Existe-t-il une potlitique culturelle alternative telle que l’écologie politique l’a imaginée avec l’expérience grenobloise ? Après tant de débats, de confusion, d’échecs et de budgets participatifs, personne ne le croit plus aujourd’hui dans la ville. »
Soutenabilité budgétaire
Les erreurs, les excès de Grenoble lui ont interdit de devenir la référence des nouveaux élus. Cependant à Strasbourg, Jeanne Barseghian, Maire nouvellement élue, interrogée sur l’Opéra avant les élections déclarait : « Il faut pouvoir examiner sereinement les possibilités de soutenabilité budgétaire [ndlr : il s’agissait de sa rénovation]… Il peut devenir un très beau projet d’expérimentation tant les implications urbaines, architecturales, artistique, participatives et culturelles sont importantes (…) ».
À Bordeaux, si la nomination de Catherine Dupraz, professionnelle expérimentée, à la direction des affaires culturelles de la Mairie rassure, il faudra attendre septembre pour connaître la « feuille de route culturelle » qui sera issue du Forum de la création et des expressions culturelles. Une plateforme accueillera les propositions des Bordelais. D’ores et déjà, 90 % des dépenses artistiques seront « fléchées vers les opérateurs et artistes du territoire », invités jusque janvier dernier à proposer leurs projets.
Repli populiste ?
Par-delà les petits jeux politiciens auxquels les acteurs se livrent, dans les perspectives électorales prochaines, le repli populiste et régionaliste prôné par la droite extrême semble avoir contaminé une large part de l’éventail politique. Il serait aisé de relever les déclarations, les prises de position de tel ou tel, élu ou directeur de structure qui, sous prétexte de rendre l’art à chacun, se prive des professionnels pour substituer des manifestations, souvent réduites aux quartiers, aux allures de fête patronale, à des productions ambitieuses et ouvertes à tous.
La crise sanitaire nous contraint à analyser nos pratiques et à penser l’après. Les projets artistiques – parfois occultés ou éludés – doivent conduire à repenser les structures et les fonctionnements. Les fissures se changeront-elles en fractures ? Ou inviteront-elles à une reconstruction de notre paysage culturel, musical et lyrique tout particulièrement ? Toutes les grandes crises de notre histoire ont été suivies d’une quête de bonheur dans lequel le spectacle jouait un rôle majeur (n’en déplaise à Adorno).
Gardons confiance, mais soyons vigilants.