Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. La direction de l’Opéra national de Paris avait pourtant déployé les grands moyens pour célébrer comme il se doit et annoncer en grande pompe une exceptionnelle saison anniversaire. Et cette programmation, alléchante de prime abord, laisse un gout d’inachevé, comme un premier cru de Bourgogne sans longueur en bouche.
Les stars au rendez-vous
Certes, cette année encore, l’Opéra de Paris continue d’asseoir son rayonnement international, comme l’atteste la présence des plus grandes stars, toutes tessitures confondues (chacun ici fera son choix selon ses préférences parmi une myriade de noms célèbres, dont Roberto Alagna, Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Sonya Yoncheva, Anja Harteros, Karita Mattila, René Pape et pas mal d’autres encore).
La nouvelle génération en ligne de mire
Certes, l’Opéra National de Paris apporte son soutien indéfectible à la nouvelle génération d’étoiles de l’art lyrique, largement programmée sur sa scène l’an prochain, avec entre autres et sans exhaustivité Julie Fuchs, Florian Sempey, Sabine Devieilhe, Stanislas de Barbeyrac. C’est avec plaisir que l’on retrouvera également à la fois dans le répertoire russe et verdien la délicieuse Elena Stikhina. Toutefois, pas vraiment de nouvel espoir affiché ni de nouveau nom à découvrir. Et surtout, pas une seule femme chef d’orchestre invitée l’an prochain (à la maigre exception de Susanna Mälkki dans Rusalka), pas une seule metteuse en scène. Elles sont pourtant nombreuses et talentueuses. Paris serait-elle la seule place lyrique à ne pas se préoccuper de mixité ?
L’Opéra français à l’honneur
Certes, l’Opéra national de Paris, tout en maintenant son éclectisme, fait une part un peu plus belle qu’à l’ordinaire à l’opéra français en programmant enfin Les Huguenots de Meyerbeer (qui n’avaient pas été donnés depuis 1936), point phare de cette nouvelle saison avec les Troyens de Berlioz. Mais pourquoi ne pas proposer également Robert le Diable ou Le Prophète au lieu de nous affubler de deux Traviata alléchantes mais connues et rabâchées ?
De beaux efforts, mais un défaut de cohérence
Et surtout, alors même que l’Opéra national de Paris prétendait célébrer cette année tous les artistes qui ont marqué l’histoire de cette maison depuis 350 ans, le défaut d’originalité, de cohérence et d’ambition de cette saison à cet égard laisse songeur et ce à deux titres.
Les grands absents
Tout d’abord, les grands absents. En effet, cet anniversaire coïncide avec celui de Gounod et Debussy. Le premier, dont on fête le bicentenaire de la naissance cette année, n’a le droit à aucun égard. Si Faust pourrait sembler trop banal pour une saison d’anniversaire, convier Polyeucte, qui fête ses 150 ans cette année, n’aurait pas manqué de panache. L’année Debussy en 2018 est célébrée à l’Opéra de Paris avec un Pelleas et Mélisande programmé …en 2017 et deux Faune perdus au milieu d’autres ballets en 2018. La Damoiselle Elue, qui n’a pas été reprise depuis 1984, aurait eu fière allure aux côtés du Faune et de L’Enfant prodigue ! Autres grands absents de cet hommage rétrospectif, Gluck et Lully, qui, à défaut d’être chantés, n’auront même pas les honneurs du Ballet. Dommage on y avait presque cru. Bien sûr, budget et éclectisme obligent, il était impossible de convier également Massenet, Saint-Saëns, Ravel, Chausson, Charpentier, Poulenc ou Fauré. Pourtant tous ont marqué l’histoire de la maison. Etait-il inimaginable de concevoir quelques soirées de récital pour les célébrer, alors que l’Opéra national de Paris propose de nombreuses festivités hors-murs ?
Des choix discutables
Ensuite, c’est le choix même des œuvres proposées qui laisse perplexe. Rossini composa pour l’Académie de Musique deux de ses derniers chefs-d’œuvre: Le comte Ory, qui fête ses 190 ans en 2018, et Guillaume Tell, qui les fêtera en 2019. Mais non, on nous propose encore La Cenerentola. Donizetti créa La Favorite en 1840 à l’Opéra de Paris mais on aura droit à un (certes très joli) Don Pasquale et un énième Elixir d’amour . Wagner qui défraya la chronique avec Tannhäuser en 1861, est représenté cette année par un énième Tristan et Isolde. C’est à Monte-Carlo qu’il fallait aller l’an passé pour découvrir cette version de Paris. Fêter les 25 ans du Saint-François d’Assise de Messiaen créé in situ et attendre un an de plus pour Lady Macbeth de Mtsensk aurait pu être une bonne idée…
Ne parlons pas des prix
Nous ne parlerons pas des tarifs sempiternellement soumis à discussion mais toujours trop élévés pour encourager le néophyte à sauter le pas et l’initié à multiplier les expériences. Au moins, la catégorie « Jonas » (prix des billets majoré si présence de grands noms) semble avoir disparu. Sage décision qui devrait éviter bien des protestations.
Mais gardons espoir…
En toute autre circonstance, cette saison parisienne, à deux ou trois réserves près, aurait emporté notre adhésion. Las, il s’agissait de célébrer les 350 ans d’une maison mythique, et ces défauts de programmation gâtent les festivités. 2019 s’étalant sur 2 saisons, espérons que la prochaine comblera ces lacunes.