Le soprano français vient de rejoindre sa collègue et amie Andréa Guiot décédée le mois dernier. Voici l’hommage que nous lui avions consacré à l’occasion de son centième anniversaire, le 13 février dernier. Avec Renée Doria et Andréa Guiot, c’est tout une époque du chant français qui tire sa révérence.
Renée Doria fête aujourd’hui ces 100 ans. Une vie bien remplie si l’on songe qu’après des études musicales poussées, elle se produit pour la première fois en concert à seulement 18 ans. Ses débuts scéniques ont lieu à Marseille le 18 janvier 1942, où elle triomphe en Rosine (à tel point qu’on lui propose de remplacer au pied levé une cantatrice malade pour chanter Olympia). Elle débute à Cannes (dont le casino était alors un lieu lyrique réputé), Lyon, Toulouse, Paris (d’abord à la Gaîté-Lyrique puis à l’Opéra-comique, le 20 octobre 1944, à chaque fois dans Lakmé) et enfin au Palais Garnier, le 4 janvier 1947 dans le rôle de la Reine de la Nuit, qu’elle n’appréciait guère. Maîtrisant quatre langues, elle chantera 76 rôles à la scène et 125 à la radio (en direct, à l’époque), pour un total d’environ 2.500 représentations et concerts. Renée Doria chantera beaucoup l’opéra français et les versions françaises d’opéras étrangers (parfois plusieurs versions différentes). A côté des Gilda, Lucia, Norina, Fiordiligi, Olympia ou Manon, qui restent des grands titres du répertoire actuel, Renée Doria défend avec brio des ouvrages devenus bien rares, voire parfois quasiment disparus des scènes actuelles : Leïla des Pêcheurs de Perles, Philine de Mignon dont elle assure la deux millième à l’Opéra-comique, Ophélie, Thaïs (où elle interpolait un contre ré dans l’air du miroir), Philémon et Baucis, L’Atlantide, Les Indes galantes (Hébé ou Fatime suivant les soirs), Gwendoline, L’Ambassadrice d’Auber, Le Comte Ory… Elle chante peu en dehors de la France métropolitaine : Alger, Oran, Tunis, Genève, Baden-Baden, les Pays-bas, l’Italie, où elle étrenne la Marguerite de Faust, Lucia di Lammermoor, Roméo et Juliette et les trois rôles des Contes d’Hoffmann (par la suite, elle ne chantera l’ouvrage qu’à la condition d’y interpréter ces trois rôles et non la seule Olympia). Son agenda donne le vertige : « Une semaine, j’ai pu chanter, grâce aux hasards du calendrier, deux Manon à Genève, deux Contes d’Hoffmann à Strasbourg et deux Lucie de Lammermoor à Rouen. D’autres fois, j’ai pu chanter, et sans fatigue, (pour pallier la défaillance d’une artiste un dimanche en matinée) trois Mireille en un week-end, et, de la même manière, trois Manon (six tableaux – cinq costumes différents !). Certaine semaine, j’ai joué Salle Favart Rosine le vendredi, chez Garnier Violetta le samedi et le lendemain, en matinée, Thaïs à Strasbourg. Ce rythme est exaltant, il entretient et lubrifie la voix, quand elle est bien placée. La technique, c’est l’abolition du hasard ! ». Rappelons qu’à l’époque les artistes voyageaient avec leurs costumes (et Lili Laskine avec sa harpe !). Renée Doria enregistre des intégrales lyriques (relativement beaucoup pour l’époque). On peut la retrouver dans les Contes d’Hoffmann (le rôle d’Olympia pour la première version enregistrée de l’ouvrage, sous la baguette d’André Cluytens), Le Barbier de Séville, Les Pêcheurs de Perles, La Bohème, Madame Butterfly, Les Noces de Jeannette, Les Huguenots, Lakmé, la Veuve Joyeuse, La Vie Parisienne, Le Pays du Sourire, Mireille, Thaïs, Rigoletto, ainsi que dans des mélodies françaises. De Manon, du Pré-aux-clercs, du Pays du Sourire, de La Chauve-Souris ou du Baron Tzigane, il ne nous reste que des extraits. En 1978, elle grave la première intégrale mondiale de la Sapho de Massenet. En 1980, elle enregistre un programme d’opéra-comique français et en 1993, des mélodies. Sa carrière aura donc connu le 78 tours, le 33 tours mono puis stéréo (ce que l’on appelait alors la « haute fidélité») et enfin le CD. Un grand nombre de ses enregistrements, dont certains sur le vif, sont disponibles sous le label Malibran. La voix de Renée Doria est limpide et cristalline. Ses coloratures sont magnifiquement exécutées sans que la diction ne soit jamais sacrifiée à la pyrotechnie vocale. Le souffle semble inépuisable, l’ambitus exceptionnel (elle était capable de chanter la version mezzo du Barbier de Séville en y ajoutant les suraigus de la version soprano). La cantatrice est aussi une grande tragédienne, personnifiant ses personnages avec subtilité et sans excès, avec cette retenue typique de ce repertoire. Renée Doria chantera avec la fine fleur du chant de l’époque : Crespin, Vanzo, Gedda, Schipa ou Gigli.… et beaucoup d’artistes immenses malheureusement bien oubliés. Au début des années 80, Renée Doria met fin à sa carrière : « Je n’ai pas fait d’adieux parce que je trouve ça stupide. La dernière chose que j’ai chanté, c’était Suzanne dans Les Noces de Figaro, à Limoges. Quand vous ne pouvez plus faire les choses comme vous voulez, il vaut mieux arrêter. Ça n’est pas rigolo de se lever le matin et de se dire : Allez, c’est parti pour trois quarts d’heure de vocalises. En travaillant l’air de Thaïs, je faisais d’abord le si, puis le contre-ré, et enfin le contre-fa : vers 1981, un matin, le contre-fa n’est pas sorti, donc c’était fini ! ». Elle se consacre alors à l’enseignement, au Conservatoire, mais refuse les master classes. Son franc-parler est légendaire comme le prouve cet entretien pour Forumopera.com ou encore celui-ci !