« Amantes amentes » : avec un tel titre, comment ne pas s’attendre à ce que Ekaterina Siurina et Charles Castronovo « se posent ensemble – et devant nous – sur le socle fondateur de l’opéra », pour reprendre les termes du programme de salle, et mêlent leurs organes dans de fiévreuses ou tendres étreintes ? Ils ont beau se montrer plus pudiques que d’autres couples glamour, la publicité n’avait pas hésité à rappeler qu’ils se sont rencontrés en 2004 sur une production de L’Elixir d’amour, avant d’énumérer les rôles qui les ont réunis par la suite. Or, paradoxalement, l’opéra se trouvait réduit à la portion congrue sur la scène du Théâtre Royal de la Monnaie mercredi dernier, les artistes se succédant, séparément, pour ne se retrouver ensemble qu’avant la pause et à l’issue de la soirée dans des extraits des Pêcheurs de Perle et de Roméo et Juliette. Ces duos fusionnels, superbement conduits et habités, nous font d’autant plus regretter une affiche essentiellement chambriste et pour le moins disparate où, du reste, les pièces n’entretiennent pas nécessairement un rapport avec la thématique amoureuse.
La joyeuse tyrolienne de Rossini « La Pastorella dell’Alpi » met d’emblée en valeur la souplesse et l’aigu scintillant d’Ekaterina Siurina que nous imaginons déjà dans le voltigeur « Spazzacamino » de Verdi, mais parmi ses romances, elle préfère la subtilité d’« Ad una stella ». A priori, nous aurions cru que la cantatrice choisirait un cycle plus démonstratif et, partant, plus flatteur pour sa vocalité lyrique que l’ultime opus 38 de Rachmaninov, mais celui-ci correspond sans doute mieux à sa sensibilité. Elle s’y montre irrésistible de naturel et de fraicheur, dans l’évocation des jeunes filles en fleurs (« Margaritki ») comme dans celle du joueur de chalumeau (« Krïsolov »), retrouvant, il est vrai, l’accompagnement superlatif de Iain Burnside, formidable créateur d’atmosphères et architecte d’une remarquable intégrale des mélodies de Rachmaninov publiée chez Delphian où brillait déjà le soprano russe.
Improbable liedersanger, Charles Castronovo livre un Schubert parfois très exotique, mais l’hétérodoxie peut avoir ses beautés (« An den Mond », « Der Schiffer ») et la sincérité désarmer les plus intransigeants docteurs du style. Après un Nadir d’une couleur et d’une robustesse peu communes, mais aux accents pénétrants et d’une imparable vérité où se devine l’expérience de la scène, les mélodies de Liszt sur des vers de Hugo non seulement confirment les affinités du ténor avec la langue française, mais révèlent aussi des trésors de finesse et un art de l’estompe infiniment suggestif (« Oh ! Quand je dors ») que son répertoire habituel ne laisse souvent qu’entrevoir. Cette découverte nous aura en partie consolé du rendez-vous manqué avec sa compagne et d’une nuit d’hyménée ravie à notre curiosité.
Ekaterina Siurina, soprano; Charles Castronovo, ténor; Iain Burnside, piano. Bruxelles, La Monnaie, mercredi 15 avril, 20h00