S’il fut le contemporain exact de Rameau, c’est évidemment de Bach, Telemann ou Haendel qu’il faut le rapprocher. Christoph Graupner, le Saxon, nous laisse une œuvre d’une richesse incroyable : plus de 1500 cantates, sacrées pour l’essentiel, une dizaine d’opéras (Graupner de premier choix), plus de 50 symphonies, des concertos, quantité de musique instrumentale et pour clavier.
Elève de Kuhnau, ami de Telemann, rencontré à Leipzig, qu’il devança à Hambourg, il dut renoncer à postuler à Saint-Thomas de Leipzig, convoité par Johann Sebastian Bach, son prince-employeur refusant de se priver de ses services. Le jugement est bien connu, traduisant la déception des édiles de la capitale saxonne : « Da man nun die Besten nicht bekommen könne, so müsse man mittlere nehmen » [Si vous ne pouvez pas obtenir le meilleur, vous devez vous contenter du moyen].
Une vingtaine de CD permettent maintenant d’apprécier son œuvre religieuse, fascinante d’invention. La composition des quatre cantates retenues, pour les quatre dimanches de Pâques, s’étale sur presque trente ans (entre 1719 et 1743, pour être précis). Aucune d’entre elles ne semble avoir été enregistrée auparavant, malgré la patiente et fructueuse exploration du projet que conduit CPO (4 volumes de cantates de la Passion). Tous les livrets sont du même auteur (Johann Conrad Lichtenberg, superintendant à Darmstadt, contemporain du compositeur) auquel Graupner emprunte l’essentiel de ses textes de cantates. Si toutes s’achèvent naturellement sur un choral, chacune d’elles compte invariablement sept numéros. Nourries aux mêmes sources que celles de Bach, elles sont d’une écriture tout aussi raffinée, riches en symbolismes comme en figuralismes expressifs. Pour autant elles ne sauraient être confondues avec celle du Cantor. L’écriture porte la marque d’une approche différente et singulière, qu’il s’agisse des voix comme des instruments et de leurs combinaisons.
Les chorals y sont traités avec une souplesse rare, avec une basse continue alerte, ductile. Le chœur d’enfants Capella Vocalis traduit fidèlement l’esprit qui devait présider à l’exécution de ces cantates. A la tête de son ensemble Pulchra Musica, Christian Bonath insuffle une vie remarquable à chacune des pièces. La fluidité du propos, conjuguée à une métrique et à une rythmique efficaces, la dynamique et le jeu des couleurs n’appellent que des éloges. Jamais compassé, toujours frais, allant comme recueilli, l’enregistrement a tout pour séduire.
Familier de ce répertoire comme ses amis chanteurs et instrumentistes, le ténor Sebastian Hübner, bien que ne chantant qu’un seul véritable air (« Freude über Freude », pour le premier jour de Pâques), intervient le plus fréquemment au travers des récitatifs et accompagnatos comme une sorte d’Evangéliste. Son bref lamento introductif de la cantate « Ihr werdet traurig sein » est superbement conduit. La voix, claire, expressive, bien projetée, sert ces textes avec une indéniable conviction. Johannes Hill, basse, se voit confier une aria par cantate (et un duo avec l’alto dans la dernière). « Mein Herz », de celle du Jeudi-Saint, fait intervenir une ritournelle citant « Wie schön leuchtet der Morgenstern ». Son air « Ich will mit Jesu gerne sterben » (pour le Vendredi-Saint) est d’une force singulière. Jan Jerlitschka, l’alto, n’intervient que dans les cantates extrêmes ; dans l’unique duo « Ach, Zions Hoffnung », sa voix se marie idéalement à celle de la basse, fraîche, d’un modelé superbe.
Un enregistrement à découvrir pour ses beautés propres, mais aussi pour mieux connaître les multiples facettes de la foisonnante création baroque luthérienne.
Le livret est exclusivement en allemand, hélas pour les non-germanistes, et comporte les textes chantés.