Se seraient-ils donnés l’accord de ne rien enregistrer de commun ? A quelques mois d’intervalle, Mathias Vidal publiait son Rameau triomphant, puis, maintenant, Reinoud Van Mechelen ce Jéliote, haute-contre de Rameau. Auparavant, en 2006, Jean-Paul Fouchécourt avait publié avec Opera Lafayette un Operatic arias de Rameau, qui illustrait – déjà – l’art du « premier chanteur de l’Europe » (Dufort de Cheverny). Puis, en 2009, à l’Opéra comique, Christophe Rousset et Anders Dahlin rendaient hommage à Jéliote. Cette nouvelle publication renouvelle l’intérêt porté à l’idole des Lumières.
Jélyotte, Jéliote ou encore Jéliot, peu importait l’orthographe au XVIIIe siècle, vient en 1733 de ses Pyrénées à Paris, où il brille au Concert spirituel, puis se voit confier les grands rôles de Rameau et de ses contemporains. Sa voix de haute-contre à la française, puissante avec des aigus « argentins », son style, ses qualités dramatiques l’imposent comme l’une des plus belles voix de toute l’histoire lyrique. Empruntons à la notice de Benoît Dratwicki cette belle conclusion : « Jélyote fut plus qu’un artiste : ce fut une véritable figure du Siècle des Lumières français. Le symbole d’une réussite spectaculaire due au seul talent; celui d’un art de vivre à la française entre raffinement de la ville et authenticité de la campagne; celui, enfin, d’un homme au grand coeur et un artiste intègre aux moyens immenses ». Après un remarquable Dumesny, haute-contre de Lully (Pas une voix de casserole !), le projet d’illustrer l’art du Béarnais s’est réalisé.
Vingt-quatre plages, pas loin d’une heure vingt de musique, la générosité se lit avant de l’apprécier à l’écoute. Comme signalé, aucun doublon avec le beau programme de Mathias Vidal (celui de Jean-Paul Fouchécourt comporte 3 airs communs). Dès l’ouverture d’Hippolyte et Aricie, le ton est donné. L’orchestre A nocte temporis, qu’a fondé Reinoud Van Mechelen, sonne magnifiquement et sa direction lui imprime une belle dynamique comme des phrasés superbes. Les couleurs en sont les plus séduisantes.
Ordonnées chronologiquement, les pièces présentées permettent un regard pertinent sur l’extraordinaire carrière du chanteur. Même si Rameau en demeure l’axe central, on retrouve bien des pages, rares, de Colin de Blamont, de Rebel et Francoeur, Leclair, Dauvergne, Mondonville, Berton et La Borde, et on découvre Jéliote compositeur. Les sinfonie et danses ponctuent l’écoute, avec une restitution exemplaire de vie et de couleur. L’introduction et l’accompagnement de l’air de Scanderberg (Rebel et Francoeur) en témoignent tout particulièrement. Autre découverte, l’air de Nitétis, de Mion. Les oiseaux ont-ils mieux gazouillé que dans l’air de Trajan du Temple de la Gloire ? Il est vrai que la complicité entre Reinoud Van Mechelen et Anna Besson (son épouse, associée à Sien Huybrechts) relève de l’évidence. De Mondonville, on apprécie trois savoureux extraits de Daphnis et Alcimadure, en languedocien. Quant aux « classiques », familiers du répertoire, leur interprétation se hisse au meilleur niveau. C’est un bonheur constant. La voix, égale dans tous les registres, avec une singulière clarté d’émission, son souci de l’expression et de l’intelligibilité du texte, l’agilité servante du style, exemplaire, n’appellent que des éloges. Nous tenons là un enregistrement appelé à devenir une référence en matière de chant baroque français. On attend maintenant le volume consacré à Joseph Legros.