Pour notre plus grand bonheur, l’Orfeo de Gluck existe en de multiples versions, originales ou adaptées, italiennes et françaises. Ce premier enregistrement d’opéra de Laurence Equilbey avec son orchestre Insula Orchestra et le chœur Accentus, s’attaque à la version originale viennoise de 1762, instrumentarium compris, œuvre créée par le castrat contralto Gaetano Guadagni. L’ouvrage nous est ici proposé en intégral sur 2 CD, un troisième disque proposant des extraits de la version de Paris (1774)*, complétés des meilleures pages de la version de Vienne.
Par ses moyens, sa technique et sa musicalité exceptionnelle, Franco Fagioli est sans doute le seul contre-ténor à pouvoir rendre justice à l’art perdu des castrats. Un art qui n’est pas que pure virtuosité : chez Fagioli, souffle impeccablement contrôlé, timbre riche, vélocité exceptionnelle dans les vocalises, ou variations dans les reprises sont avant tout mis au service de l’expressivité dramatique. C’est bien sûr le cas dans l’air de bravoure qui clôt le premier acte (« Addio miei sospiri », version italienne de « Amour, viens rendre à mon âme »*). Mais c’est encore plus frappant lorsqu’il s’agit du célébrissime « Che farò senza Euridice », où les variations servent à faire figurer l’émotion croissante d’Orphée, comme si celui-ci ne prenait conscience que progressivement de l’horreur de la situation. Du grand Art. On ne se lasse pas de le dire : il y a un « avant » et un « après » Fagioli…
A ses côtés, Malin Hartelius est également dramatiquement excellente, musicale, variant les couleurs comme une vraie belcantiste. Son « Che fiero momento » est remarquable d’expressivité. Emmanuelle de Negri est un Amour tendre et rieur, mais non exempt de gravité. Le chœur Accentus complète fort justement la distribution, même si on pourrait s’attendre à moins de distanciation, comme dans les interventions des Furies.
Ce formidable plateau vocal est soutenu par une formation parfaite, Insula Orchestra, précise dans les attaques mais sans rudesse, d’une belle pâte sonore. La direction de Laurence Equilbey est absolument remarquable, tout à la fois contrastée et équilibrée, alternant sans solution de continuité les passages virtuoses à l’énergie maitrisée (mais aussi moins débordante qu’au concert), la tristesse des moments plus élégiaques ou l’intensité des parties dramatiques. Gluck a bien de la chance d’être ainsi servi !
* La version de Vienne est en italien mais ne comprend pas l’air de bravoure de l’acte I, ajouté par Gluck pour la création parisienne de 1774. Il était pour l’occasion interprété par le haute-contre Joseph Legros (rappelons qu’une haute-contre est un ténor à la voix particulièrement haut perchée, qui n’a donc rien à voir avec le contre-ténor avec lequel on le confond parfois). L’air était donc chanté en français. « Amour, viens rendre à mon âme » culmine au mi bémol du diapason de l’époque, c’est-à-dire plutôt un contre-ré pour nos oreilles modernes. Cet air a longtemps été attribué à Ferdinando Bertoni, qui en a d’ailleurs revendiqué la paternité, mais il semble avéré qu’il est bien de Gluck, extrait des Feste d’Apollo ou d’ouvrages antérieurs. Pour son adaptation pour le contralto Pauline Viardot (1859), Hector Berlioz le réintroduisit également. Dans cet enregistrement, l’air a été retraduit en italien par Thibault Perrine. Lors des concerts précédant cet enregistrement, Laurence Equilbey proposait un mixe entre ces deux versions.
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