Ces derniers mois, Sonya Yoncheva a été particulièrement présente dans l’actualité lyrique. Une magnifique Elisabeth dans Don Carlos à Bastille en octobre, suivie de l’annulation de la quasi-totalité des représentations de La Bohème à Paris, puis, par un formidable retour de balancier, une incroyable Tosca au Metropolitan Opera. Artiste attachante, véritable bête de scène prête à tous les challenges (on se rappelle ses Norma impromptues à Londres), Yoncheva est-elle une artiste pour le studio ?
On retrouve, dans cet album consacré à Giuseppe Verdi, une partie des grandes qualités de la soprano. Une voix immédiatement reconnaissable, avec un médium légèrement callassien, une capacité incroyable à varier les couleurs, à faire passer les émotions les plus intimes, contrebalancée par un aigu un peu instable et la quasi absence de pianissimi (cela dit, Callas n’en donnait pas davantage). Le programme s’ouvre sur l’air d’entrée de la Leonora d’Il Trovatore. Choix malheureux : le timbre voluptueux de Yoncheva est gâché dans la cabalette par des aigus vibrionnants que les ingénieurs du son ne se sont pas donnés la peine d’adoucir. On retrouve la même gêne à l’écoute de l’extrait d’Attila : l’air « Liberamente or piangi » est de toute beauté, mais la cabalette qui suit montre les mêmes stridences. A partir du si naturel, la voix change nettement de consistance. Et pourtant, Yoncheva a chanté sa récente Tosca (rôle qui abonde en si naturels et contre-ut) sans difficultés audibles, en tous cas depuis la salle. Avec « Tu puniscimi, o Signore », extrait de Luisa Miller, un rôle qu’elle interprètera au Metropolitan en avril prochain, on retrouve cette capacité à faire fondre l’auditeur dès la première phrase. Dans cette page d’une noirceur extrême, le legato, la science des couleurs de la soprano bulgare, voire même ses failles, contribuent à construire un personnage sacrificiel d’un désespoir profond. Avec Don Carlo, donc en italien cette fois, on retrouve l’intensité sobre de la reine blessée que nous avions tant appréciée à Paris. Stiffelio et Simon Boccanegra lui vont également comme un gant. Quant à sa Desdemona, elle faisait déjà tout le prix de la production new-yorkaise d’Otello captée en vidéo : Yoncheva est indubitablement la meilleure interprète actuelle de ce rôle. Sur le papier, la seconde Leonora, celle de La Forza del destino, bien plus grave que celle du Trovatore, n’est pas adaptée à la typologie vocale de Yoncheva. A la scène, on crierait casse-cou. Au disque, force est de reconnaître que la page est admirable de sensibilité. Mais le soprano retrouve ses limites avec l’extrait de Nabucco, le CD se terminant aussi mal qu’il avait commencé.
La baguette routinière de Massimo Zanetti n’arrange pas les choses (sauf peut-être dans le Don Carlo, un peu plus habité) et l’orchestre munichois est bien prosaïque. Enfin, le programme est peu généreux (54 minutes) contribuant à une impression globale de bâclé. Sonya Yoncheva vaut mieux que cette demi réussite, et nous continuerons à courir l’entendre sur scène avec confiance.