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Emmanuelle Haïm « Xerse, c’est une sorte de Così »

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Interview
8 octobre 2015

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Contrairement à Ercole amante (1662), lui aussi agrémenté de ballets de Lully, la version parisienne du Xerse (1660) de Cavalli, remanié pour les noces du Roi Soleil, n’avait plus été jouée depuis 355 ans. Sa récréation à l’Opéra de Lille, dans une mise en scène de Guy Cassiers et sous la direction d’Emmanuelle Haïm, est sans nul doute l’un des temps forts de la rentrée lyrique. Elle méritait amplement que nous nous glissions dans les coulisses, une semaine avant la première, pour interroger la chef sur la genèse de ce projet et découvrir les vertigineux défis qu’il soulève.

Il y a longtemps que vous vous intéressez à Cavalli. Comment s’est fait le choix de Xerse, parmi les 27 partitions qui nous sont parvenues ?

A l’origine, c’est une demande du Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) qui, pour fêter le tricentenaire de la mort de Louis XIV, m’a soumis le manuscrit de la version française de Xerse avec les ballets de Lully et nous a demandé, à Caroline Sonrier et à moi-même, si nous étions d’accord de la monter. Je l’ai examiné, mais ce n’était pas facile, car le manuscrit est truffé de fautes. Il peut manquer, par exemple, le nom du personnage qui chante et pour juger de la valeur de l’œuvre, il fallait replonger dans le livret, pour découvrir aussi que le nom du personnage indiqué dans la partition n’est pas toujours le bon…

Cela ressemble à un jeu de piste…

Oui, c’est un jeu de piste ! Le copiste s’est parfois aussi trompé d’une ligne, il y a des passages incompréhensibles sur le plan des tessitures, etc. J’ai donc commandé les manuscrits vénitiens pour comparer et compléter les informations manquantes dont nous disposions. Pour les ballets de Lully, nous avons également dû consulter d’autres sources, ce qui a permis de corriger, par exemple, des altérations inexactes ou des parties douteuses. Autrement dit, il n’était pas du tout évident, à la simple lecture de la partition, de décider de la monter ou non, cela a pris plus de temps que d’ordinaire. Après quelques semaines, j’ai pu me rendre compte que cette pièce valait la peine d’être montée, même si elle est un peu particulière. Il y a des transcriptions, à commencer par celle du rôle-titre, qui d’alto devient un basse baryton, d’autres disparaissent ou sont à peine présents, ce qui nous a conduits à les supprimer, en soulevant du coup l’une ou l’autre question, sur le cheminement de la lettre, par exemple : comment la faire parvenir à son destinataire si le personnage censé la livrer n’est plus là ? Puis se sont posés les problèmes pratiques : la disposition des musiciens ici à l’Opéra de Lille, l’orchestration, les diapasons… Versailles devait aussi accueillir le spectacle, mais la salle n’est pas si facile à obtenir et ne se prêtait pas non plus aux vidéos et aux lumières voulues par Guy Cassiers. Par contre, nous avons collaboré avec les musicologues du CMBV à l’édition de la partition.

En découvrant les modifications apportées à l’opéra pour l’acculturer, on pouvait craindre qu’il soit dénaturé. Greffer des ballets, en particulier, est totalement étranger à l’esthétique de l’opéra vénitien. C’est le choc des cultures ou la rencontre fonctionne ?

Ca marche très bien. Effectivement, c’était une crainte. J’aime beaucoup le Xerse d’origine, avec ses nombreuses scènes de « divertissement », même s’il s’agit parfois de préparatifs à la guerre, et les intrigues amoureuses parallèles des maîtres et valets, d’une grande drôlerie  et dont on a besoin pour sortir des passages trop dramatiques et mélancoliques en changeant complètement de registre. Mais bizarrement, c’est apporté par Lully. Les ballets font office de divertissement.

Notamment les personnages empruntés à la Commedia dell’arte…

Oui, même si ce n’est pas ainsi que nous avons voulu traiter le ballet. On a tout à coup des paysans qui dansent à la façon espagnole, les titres donnés aux danseries sont d’ailleurs très évocateurs. Il y a un réel foisonnement, avec soudain quelque chose de très chamarré, qui a eu cette fonction de divertissement. Pour le reste, les transformations apportées à l’opéra ne sont pas aussi importantes qu’on veut bien le dire.

Les mélismes, par exemple, n’ont pas été fort raccourcis ?

Non, pas tant que cela. Le traitement de la prosodie est parfois un peu différent, mais fonctionne très bien. Quelques termes changent, mais on voit déjà dans les manuscrits vénitiens que telle strophe est coupée et que c’est un théâtre pragmatique, qui s’adapte sans cesse. Je pense que nous avons gardé autant que possible l’esprit vénitien. Le changement le plus important, c’est le changement de tessiture de Xerse. Dans la version italienne, nous avons majoritairement des voix aiguës, à part Aristone, l’écuyer d’Amastre, et l’ambassadeur Periarco, que nous n’avons pas gardé, deux personnages plus âgés, ainsi que la voix de ténor d’Ariodate, le général des armées. On a donc une gémellité, que ce soit celle du roi et de son frère ou celle de Romilda et de sa sœur… C’est une sorte de Così, sauf qu’ils sont en plus à voix égales…

Comme dans Le Couronnement de Poppée ?

Oui, les deux frères sont des castrats (contraltos) et les sœurs, des sopranos féminins. Or, un Xerse avec une voix de basse change considérablement les rapports entre les personnages. Avoir un Xerse qui chante « Ombra mai fu » d’une voix sombre, c’est très exotique, car ce n’est absolument pas ce que l’on entendait à l’époque dans l’opéra italien. C’est là une transformation colossale.

En découvrant les musiciens de la Grande Ecurie et les 24 Violons du Roi réunis pour les ballets de Lully, Cavalli n’a-t-il pas eu la tentation de les utiliser pour étoffer ses ritournelles ou enrichir son continuo ?

Je pense que cela n’aurait pas été possible pour une question de diapason, cela aurait été inchantable. La tessiture des castrats est déjà très grave, bien qu’au diapason vénitien de 460 ! Plus bas, cela n’aurait pas marché. Les partitions vénitiennes sont déjà émaillées de transpositions, qui sont alors monnaie courante, mais les tonalités, en revanche, nous limitent vraiment. Par contre, Cavalli a dû étoffer ses propres effectifs. Ainsi, je n’ai pas gardé que les violons, j’ai aussi ajouté des flûtes, ainsi que des cornets, qui s’inscrivent dans la tradition vénitienne, et j’ai opté pour un continuo large et riche comme Cavalli n’en avait probablement pas toujours à Venise. On sait qu’à Paris, il disposait d’un célèbre harpiste, le frère de Luigi Rossi, il a réuni à la fois des instrumentistes qu’il avait emmenés avec lui et des Italiens de France, déjà sur place. Pour le reste, dans quelles circonstances ont-ils pu jouer ? Cela reste difficile à savoir, mais à mon avis, ils n’ont pas communiqué. Les lullystes devaient se tenir dans des pièces adjacentes à la Galerie d’Apollon, portes ouvertes, sinon, l’orchestre de Cavalli aurait été littéralement avalé. Je pense que cela devait être une forme de rivalité …

Justement, que savons-nous des relations entre Cavalli et Lully ? Avons-nous des témoignages ?

 Je ne sais pas exactement, mais Cavalli était très décontenancé et furieux après l’Ercole Amante [en 1662], où les ballets ont pris toute la place. En plus, on peut imaginer que les machineries, dans le nouveau théâtre érigé aux Tuileries, étaient fort bruyantes et qu’on n’entendait rien du Cavalli, joué en petit nombre, en italien, puis relativement long, avec des intrigues compliquées auxquelles le public n’était pas du tout habitué. Il n’a pas rencontré le succès escompté. Il avait déjà son âge, il avait fallu le supplier pour qu’il vienne à Paris, il n’avait cédé qu’au prix de longues tractations, or il est reparti tout penaud, parce que Lully, très finement, a tiré son épingle du jeu en offrant quelque chose de beaucoup plus vendeur à un public qui avait adoré le Ballet de la Nuit. Il ne devait guère se soucier de ses rapports avec Cavalli et n’était probablement pas content qu’on ait fait appel à un compositeur aussi important et célèbre.

C’est effectivement ainsi qu’on présente le séjour de Cavalli en France : un échec, après lequel il est rentré meurtri à Venise. Or, des chercheurs émettent l’hypothèse que le tableau a peut-être été noirci. On aurait ainsi pu mal interpréter une lettre adressée à son librettiste Minato, où il se prétend fermement résolu à ne plus écrire d’opéra. S’il ne voulait plus écrire d’opéra, c’était peut-être, au contraire, parce qu’il aurait trop apprécié les conditions de production à la cour de Louis XIV, nettement moins contraignantes que celles qu’il subissait dans les théâtres vénitiens soumis aux redoutables lois du marché. Est-ce que la musique de Cavalli a vraiment été mal reçue en France ?

Je ne crois pas qu’elle ait été mal reçue. Mais le ballet avait sa magnificence et il ne jouait pas à armes égales avec Lully. La juxtaposition des deux n’a sans doute pas favorisé Cavalli de la même manière.

Est-ce que Lully a été influencé par Cavalli lorsqu’il a forgé la tragédie en musique ?

Oui et non. J’ai rarement vu un continuo aussi difficile que celui de Xerse : c’est très écrit, très rapide et très sollicitant, alors que chez Lully, on arrive à une épure, comme s’il faisait le vide. Il a certainement été influencé par la beauté mélodique des airs de Cavalli, par une certaine simplicité qui fait qu’ils vous parlent directement et qu’on retrouve aussi dans l’économie de moyens qui caractérise le langage harmonique de Lully. Il va reprendre aussi les lamenti sur une basse obstinée. Je sens une épure très grande chez lui, dans son rapport à la langue également…

Sous l’influence du théâtre classique…

Oui, un théâtre qui devient tragique. Il y a, d’une certaine façon, une plus grande violence en France, on enlève un peu l’habillage, l’enrobage. La manière, par exemple, de terminer violemment Idoménée serait inacceptable en Italie. Et en même temps, les sentiments ne sont pas forcément dits.

Lors de sa création en 1662, cette nouvelle version de Xerse ne pouvait bénéficier d’une mise en scène, avec changements de décors et machines, la galerie d’Apollon du Louvre ne s’y prêtant pas. L’absence de cadre de référence, de visuel (croquis, maquettes d’époque, …) a-t-elle libéré l’imagination de Guy Cassiers et la vôtre ?

Cela ne me gêne pas d’avoir des références, mais ce que je trouve intéressant dans ce qu’a proposé Guy, c’est qu’il a absorbé et utilisé des références multiples. Dans cette œuvre, il y a d’abord une pièce de Lope de Vega, sur laquelle se superpose un livret de Minato, nous avons donc le regard de Vénitiens sur la Perse, puis des Français qui, à leur tour, observent les Vénitiens regardant la Perse et nous, qui nous projetons dans ce regard en cascades de gens qui contemplent d’autres cultures. Et cet exotisme permet de dire des choses qu’on ne pourrait pas dire en parlant de son pays, de sa propre situation telle qu’elle est réellement. Au départ, nous avons des costumes qui se veulent orientaux dans la galerie d’Apollon où tout était emballé comme au Louvre en temps de guerre. Il reste un lieu royal, mais fragilisé et calfeutré, au milieu duquel on se promène un peu en Orient, mais progressivement, l’Occident gagne et transforme les costumes. Et curieusement, l’Orient, lui, transforme les décors, cette immersion dans le Louvre va être ainsi envahie d’arabesques…

Il n’y a donc pas de fusion, d’intégration des ballets de Lully dans l’opéra de Cavalli, mais plutôt une juxtaposition. Comment se sont articulées la mise en scène, la chorégraphie et la réalisation musicale ?

Au départ, le CMBV voulait vraiment avoir une idée ce qui s’était passé lors de la création du spectacle pour le mariage de Louis XIV. A la lecture de Xerse, ce qui était intéressant, c’est ce que ces amours compliquées se déroulent en temps de guerre. Or, alors que chacun ploie sous ses responsabilités, tout le monde les oublie pour se perdre dans des histoires amoureuses. Guy voulait que cette référence, cette présence de la guerre, enlevée pour satisfaire aux circonstances du mariage, subsiste, que cette ombre demeure en toile de fond. Je trouvais aussi que l’intrigue amoureuse était moins intéressante sans ce contexte particulier, sans rappeler qui était Xerse, 1er roi perse en guerre contre les Grecs. Nous avons beaucoup échangé sur cet ancrage-là et partagé nos lectures respectives.

Quant aux ballets de Lully, ils semblaient surgir de nulle part, abruptement. Quand je les lisais au clavecin, c’était très mystérieux, c’est seulement quand je les ai mis en musique avec les instruments que j’ai commencé à pouvoir me les figurer : ici, j’entends plutôt telle chose, je voudrais mettre plus de poids, là je multiplierais bien le refrain par deux, etc. Ce n’est qu’un schéma que Lully nous donne, une partie de la trame. Le reste vient avec la matière, qu’il faut sculpter, pétrir. Curieusement, ça marche très bien et à un moment donné, nous faisons même jouer les deux orchestres ensemble. Nous avons opté pour différents diapasons et j’ai eu très peur du rapprochement entre un grave et un autre nettement plus aigu : si nous nous retrouvions, par exemple, à trois quarts de ton de différence, cela allait faire très mal ! Sur un plan pratique, il fallait aussi réussir à placer l’orchestre Lully…

Qui est autrement fourni que celui de Cavalli …

En fait, les ballets font au total une quinzaine de minutes. Aussi, quand j’ai d’abord dit qu’il me fallait soixante musiciens, on m’a regardée bizarrement. Vraiment ? Oui, les basses de violon ne sont pas si sonores que ça, il en faut beaucoup. Mais où allions-nous les mettre ? Progressivement, on a pas mal dégraissé l’orchestre Lully, on a pensé les mettre sur scène, mais il fallait composer avec les dispositifs lumineux de Guy, puis où les ballets allaient-ils être dansés ? Comment faire se juxtaposer ces deux univers sans qu’ils s’entrechoquent ? Miraculeusement, devant une toile transparente qui permet des projections et donne l’illusion d’entrer dans la galerie d’Apollon, il reste un tout petit espace pour les danseurs. J’ai aussi imaginé des plateformes sur lesquelles j’ai l’essence même de l’orchestre Lully : les cinq cordes (avec un percussionniste) et les cinq hautbois – jusqu’au baryton de hautbois, une rareté – puis une guitare. L’orchestre Lully surplombe donc l’orchestre cavallien. Et jusqu’à hier, je me demandais si j’allais arriver à les faire jouer ensemble.

Ce dispositif, qui semble un clin d’œil à la spatialisation de San Marco, évoque aussi le regard d’une culture sur une autre, les musiciens vivent et incarnent ce regard d’une certaine manière…

Oui, les Lully regardent les Cavalli et vice-versa et ils n’accordent leurs instruments que les uns après les autres. Mais pour une pièce, j’ai choisi une tonalité commune et ils y jouent ensemble, lorsque le général rentre du champ de bataille et raconte à Xerse comme il s’est bien battu. Et ça marche !

C’est justement à cet endroit-là que vous avez imaginé une réconciliation entre les lullystes et les cavalliens?

Oui, alors qu’Ariodate explique que le champ de bataille n’était pas assez vaste pour enterrer tous les morts !

Contrairement à ses partenaires, Ugo Gagliardo, qui interprète le rôle-titre, ne fréquente guère la musique baroque. Comment a-t-il abordé Cavalli ?

L’italianità est évidemment fondamentale dans ce répertoire : c’est avant tout du théâtre et il a un avantage énorme. J’ai aussi la chance d’être aidée par Rita de Letteriis, qui est bien plus qu’une linguiste. J’insistais beaucoup sur le travail de l’italien et nous avons commencé toutes les séances par une heure à la table, à se dire le texte, à le déclamer et à en saisir le sens, car il est complexe. Par moments, même les Italiens en avaient des lectures différentes. C’est comme, par exemple, dans la Médée de Charpentier, le texte est parfois tellement elliptique que tout le monde n’y lit pas la même chose. Et les sous textes n’y sont pas, or il faut que les artistes aient les mêmes, qu’ils partagent la même vision. Il y a plein de didascalies qui manquent. Or, Guy a fait preuve d’une grande finesse, d’une grande intelligence dans sa lecture. Dans ce premier travail, théâtral, les Italiens sont avantagés, mais les autres se défendent aussi avec leurs armes.

Le travail d’acteur précède donc celui du chanteur. Gabriel Garrido, lorsqu’il dirigeait l’Ercole amante, expliquait que la tessiture du récitatif chez Cavalli se situe souvent une quarte en dessous de l’air et qu’il faut donc réussir à montrer au public que le chanteur ne chante pas, mais parle encore. 

Ce n’est pas forcément le cas ici. Ariodate, par exemple, a des récitatifs que je qualifierais de … vaillants. C’est parfois une vraie gageure. Quand il dit qu’il n’aurait pu imaginer un instant une alliance aussi noble pour sa fille Romilda – qu’il croit promise au frère de Xerse –, il se lance dans une comparaison très imagée, évoquant un aigle qui prend un oiseau et l’élève : ce n’est qu’un récit, mais il culmine au La aigu ! Les tessitures sont très tendues pour les chanteurs. Romilda, notamment, a beaucoup d’écriture en leitmotiv et quand elle supplie celui qu’elle aime, Arsamene, de partir (« Partite, O dio »), c’est aussi sur des La aigus. On a travaillé pour essayer de garder, dans de telles tessitures, le parler.

En 2007, vous me disiez être intéressée par plusieurs livrets de Cavalli, tout en regrettant que plusieurs autographes soient très difficiles à déchiffrer. Or, l’édition intégrale des partitions manuscrites est en cours : quels autres ouvrages aimeriez-vous monter ?

J’avais pensé à Elena, à Hipermestra, mais j’apprends qu’il va aussi être monté. L’Egisto et l’Ormindo sont des œuvres que je monterais bien, Giasone aussi, en fait, elles sont nombreuses, Gli amori di Apollo e Dafne également. J’aurais bien aimé diriger la version vénitienne de Xerse, mais je suis heureuse d’avoir monté celle-ci, c’est une rareté et je suis contente du résultat. La proposition de Guy était très personnelle, comme la vision, assez poétique, que Maud a eu de la chorégraphie, qui n’est pas incluse dans le reste…

Elle n’a pas voulu être impliquée dans votre réflexion…

Effectivement. Sa chorégraphie est comme une méditation, avec une bribe d’inspiration baroque, puis une allusion aux nœuds complexes de l’intrigue, quelque chose de très populaire aussi dans les bourrées, que devait scander à l’époque  la trompette marine, et qu’elle a su aborder avec humour.

Il y avait tellement de choses à décider, des choses vraiment complexes et toute une partie de recréation. Quand, par exemple, le manuscrit annonce une « aria con violini » et que la partie des violons fait défaut, cela donne le trac, mais il faut l’écrire. C’est un work in progress, tant sur le plan musical que dramaturgique. Au fil du travail, on comprend que pour quitter tel univers, il faudrait une ritournelle alors que telle autre scène, par contre, peut s’interrompre brusquement. Il n’était pas toujours évident, aussi longtemps que nous n’avions pas les décors, de savoir comment les parties pouvaient s’enchaîner au mieux, quand une respiration est nécessaire…

Par rapport à d’autres opéras, même « baroques », pour lesquels nous disposons de partitions complètes et précises, vous avez une responsabilité accrue, y compris vis-à-vis des chanteurs…

Nous avions une équipe très impliquée et souvent rompue à ce répertoire. Les chanteurs apportent beaucoup et sont tout à fait conscients que c’est une création. Il n’y a qu’un enregistrement, déjà ancien, de René Jacobs, c’est tout. Le fait qu’ils aient aussi fréquenté d’autres répertoires enrichit considérablement l’interprétation. Quelqu’un comme Emma de Negri, qui a chanté Lully, Charpentier, Rameau, peut injecter quelque chose de très intéressant chez Cavalli.

Cavalli ne sollicite-t-il pas davantage l’imagination du chanteur ?

Avec une chanteuse comme elle, qui a un univers théâtral très fort, très puissant, on prend le temps de trouver la signification véritable de chaque air et pour saisir le positionnement, l’évolution du personnage tout au long de l’opéra. C’est avant tout un échange : ce sont les chanteurs qui ont la vision du personnage qu’ils ont traversé, ce n’est pas rien cette traversée, j’entends ce qu’ils proposent, parce qu’ils ont cette science inconsciente du rôle, nourrie de ce qu’ils ont vécu.

Propos recueillis le 25 septembre 2015

 

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