La représentation du Trouvère de Giuseppe Verdi du 3 mars 2016 à l’Opéra Bastille était la seule où la totalité de la seconde distribution se trouvait réunie : une équipe solide qui, à défaut de comporter les « quatre – voire les cinq – meilleurs chanteurs du monde » selon le vœu de Toscanini, se distingue par son homogénéité et se montre à la hauteur de l’enjeu.
En Ferrando, Liang Li succède à Roberto Tagliavini sans démériter : la voix est solide et bien projetée et sa grande scène du premier acte est impressionnante à souhait. Chanté de cette manière, ce second rôle se hisse au niveau des quatre protagonistes.
Vitaly Bilyy possède un timbre séduisant et un phrasé élégant qui fait merveille dans son air « Il balen del suo sorriso » délicatement nuancé. Si la voix du baryton ukrainien n’a pas tout à fait l’ampleur de celle de Ludovic Tézier, elle est homogène sur toute la tessiture et suffisamment souple pour affronter les différents passages d’agilité que comporte sa partie. L’acteur, en outre, se montre convaincant, notamment dans le dernier tableau.
Luciana D’Intino campe une Azucena hallucinante. La voix est large, l’aigu percutant et le grave d’une profondeur abyssale. Son air « Condotta ell’era in ceppi » chanté dans un silence sépulcral produit un effet saisissant. La cantatrice renoue ici avec la tradition des grandes mezzo-sopranos italiennes de la fin du siècle dernier. A l’applaudimètre c’est elle qui obtient la première place.
Le timbre de Yusif Eyvazov n’est sans doute pas le plus beau du monde mais le ténor possède assurément les moyens du rôle, et quels moyens ! Contrairement à nombre de ses collègues, il ne transpose pas l’incontournable « Di quella pira » et si les doubles croches sont escamotées, le contre-ut final, d’une insolence et d’une facilité déconcertantes, tenu jusqu’à la dernière note de l’orchestre, lui vaut une ovation bien méritée. Regrettons en passant qu’aucune des cabalettes ne soit doublée, ce qui en 2016 est tout à fait déplorable. Dans les airs élégiaques, Eyvazov parvient à nuancer son chant, en particulier « Ah si ben mio » qu’il ornemente de quelques demi-teintes bienvenues. Un seule réserve toutefois, théâtralement, son incarnation demeure par trop conventionnelle. Peut-être qu’avec un autre metteur en scène…
© Charles Duprat / OnP
Hui He avait remplacé Anna Netrebko souffrante à deux reprises, notamment le soir de la retransmission dans les cinémas. Face à un public déçu – voire hostile – à cause de la défection de la star, elle n’avait pas donné la pleine mesure de son talent. Ce soir, elle a pu chanter en toute sérénité et mis à part un accroc à peine perceptible à la fin de son premier air, se montrer tout à fait digne d’éloges. Habituée du festival de Vérone, la cantatrice chinoise n’a aucun mal à remplir tout le théâtre de sa voix ample et bien projetée qui soutient sans peine les longues phrases de ses deux grands airs, au cours desquelles elle esquisse avec bonheur quelques sons filés de bon aloi. Elle parvient également à tirer son épingle du jeu dans les cabalettes menées pourtant à un train d’enfer et à rendre l’émotion perceptible dans son chant comme en témoigne la superbe phrase « Prima che d’altri vivere io volli tua morir » au dernier tableau ou le récitatif de l’air du quatre « Vanne, lasciami » dramatique à souhait.
Très théâtrale, la direction de Daniele Callegari s’avère par moment déroutante. Il adopte, on l’a dit, des tempi globalement rapides qui mettent parfois les chanteurs en difficulté, par exemple au cours du duo entre Manrico et Azucena à la fin du deuxième tableau où les deux protagonistes ont à peine le temps de respirer.
Comme le souligne Clément Tallia dans un premier compte rendu, on attendait « un peu plus d’audace » de la part d’Alex Ollé dont la direction d’acteurs est d’une platitude désolante. En revanche, le dispositif scénique, astucieux, permet un passage fluide d’un tableau à l’autre grâce aux changements à vue des décors qui suggèrent avec pertinence l’atmosphère nocturne de l’ouvrage.