La production présentée ce soir est la reprise de celle réalisée l’an dernier pour célébrer le centenaire de la première représentation d’Aïda en 1913*, lors du tout nouveau Festival des arènes. Notre impression avait été alors plutôt mitigée, puis beaucoup plus favorable lors de la parution de la captation vidéo réalisée alors. Cela donnait envie de revoir le spectacle dans son cru 2014 : comment allait-il supporter l’épreuve du temps, et celui, non moins redoutable, des changements de distribution, celle-ci étant aujourd’hui entièrement renouvelée ?
Ce n’est pas la première fois que nous voyons María José Siri dans le rôle d’Aïda, d’abord à l’Opéra de Stuttgart, puis au festival de Sanxay. Pour elle, Vérone est une vraie consécration. La cantatrice uruguayenne fait de fort belles choses avec sa voix bien adaptée au rôle : des nuances nombreuses et bienvenues montrent toutes les possibilités d’une voix souple et intelligemment menée. L’actrice est tout aussi crédible, mais malheureusement, les conditions météorologiques (le spectacle a duré 5 heures et demi en raison des arrêts dus à la pluie) font que l’on n’a pas pu juger complètement de sa personnification du rôle, trop haché menu.
Lucrezia García (Amnéris) © Photo ENNEVI
De son côté, la cantatrice vénézuélienne Lucrecia García chante depuis plusieurs années le rôle d’Aïda à Vérone qu’elle a aussi tenu dans la récente seconde distribution des dernières représentations de Paris (voir le compte rendu de Christophe Rizoud). Elle aborde maintenant pour la première fois le rôle d’Amnéris, à l’instar de Grace Bumbry qui s’amusait beaucoup à alterner les deux emplois. Mais une soprano peut-elle se permettre ce que peut oser une falcon aux aigus triomphants ? De fait, le résultat n’est pas totalement convaincant. Les graves, non poitrinés, sont beaux et sonores, les aigus aussi, mais il y a tout un espace entre les deux tessitures qui perd en puissance, et le passage est beaucoup trop audible. Enfin, c’est surtout du côté du jeu scénique qu’il resterait un énorme travail à faire, car chanter Amnéris en jouant Aïda, ce n’est pas très crédible.
Ni Walter Fraccaro (Radamès) ni Davit Barbayants (Amonasro) ne laisseront un souvenir impérissable dans cette production. En revanche, le Ramfis de Marco Spotti et le Roi de Roberto Tagliavini sont dignes de tous les éloges. Quand au chef Julian Kovatchev, pourtant habitué des lieux et dont on avait noté les qualités de précision dans d’autres Verdi, il paraît ce soir totalement déstabilisé par cette pluie intermittente qui n’en est pas vraiment une, mais qui amène les cordes à se précipiter à l’abri dès la moindre goutte d’eau. Manque d’autorité ? La situation qui déjà lui échappait musicalement a fini par lui échapper totalement : dès le deuxième acte, il n’y avait plus de pilote dans l’avion, ce qui a pu justifier qu’après des dérapages en cascade, l’orchestre s’arrête net en plein milieu de la scène du triomphe, devant les solistes médusés qui ne savent plus que faire. L’atmosphère, humide côté spectateurs, a dû être particulièrement chaude ce soir côté coulisses !
Que dire enfin de la production de la Fura dels Baus ? Elle n’a pas varié d’un pouce. Le triomphe de Radamès est toujours hué, et surtout, tout ce qui est incompréhensible paraît totalement hors-sujet : ainsi les personnages enfermés dans des fûts de pétrole et roulés à travers la scène, les gardes qui pendant la moitié d’un acte tapent mollement mais sans cesse, sans savoir pourquoi, sur des hommes à terre, et surtout l’énorme centrale solaire en construction pendant le triomphe de Radamès, qui détourne l’attention et dont les bruits de moteur troublent singulièrement le spectacle. En revanche, les plus beaux moments (les ombres chinoises chez Amnéris et l’acte du Nil) gardent tout leur attrait : le reste n’en paraît que plus anecdotique et donc inutile et sans intérêt.
* Rappelons que la production « historique » de 1913, mise en scène par Gianfranco De Bosio, est donnée cette année encore au mois d’août.