Quelles affinités entre Gioachino Rossini et Erwin Schrott, matamore des scènes lyriques depuis 1998 – année de son premier prix au Concours Operalia –, voix noire et puissante que l’on associe plus naturellement aux ricanements diaboliques et aux boniments donjuanesques qu’aux agilités belcantistes ? Rossini occupe pourtant une place privilégiée dans la carrière du baryton-basse uruguayen. C’est avec le Stabat Mater qu’il a débuté en 2001 à La Scala. Deux ans plus tard, il était Pharaon dans Moïse et Pharaon sur cette même scène. En 2016, Pesaro l’accueillait dans Il turco in Italia. Le voici cette année de retour au Teatro Rossini le temps d’un récital avec orchestre, en marge de son interprétation de Pharaon au Vitrifrigo Arena.
Riccardo Muti, Ernesto Palacio : Erwin Schrott remercie en préambule ses pygmalions rossiniens, tout comme plus tard durant le concert, il prendra la parole à plusieurs reprises pour expliquer avec la même voix de stentor les similitudes entre l’Argentine et l’Uruguay, ou la manière dont il a découvert le Don Quichotte d’Ibert durant le confinement. Tel est l’artiste : discoureur, hâbleur, séducteur mais tellement sympathique. Et la musique dans tout ça ? « Non parlo piú, vieni Maestro », gronde le chanteur à l’adresse du chef d’orchestre, Alessandro Bonato, réfugié dans la coulisse. Et Erwin Schrott de tomber la veste pour un tour de chant entrecoupé de pages symphoniques expédiées manu militari par l’Orchestre Sinfonica G.Rossini, formation locale invitée chaque année au Rossini Opera Festival depuis 2001.
© Studio Amati Bacciardi
Le « Pro peccatis suae gentis » du Stabat Mater ponctué d’œillades et de sourires adressés à quelques belles dans la salle – on le suppose – est l’unique tribut payé au maître des lieux. Le chant est peu scrupuleux tant de la lettre que de l’esprit de la partition, mais Erwin Schrott n’est pas chanteur à s’embarrasser de scrupules. Longtemps le Stabat Mater de Rossini a été suspecté d’être moins religieux que théâtral. En voilà la preuve taillée aux ciseaux cranteur dans un velours épais et sombre comme une toison. Philippe II et Procida sont brossés dans le même sens du poil. La prononciation se préoccupe moins de consonnes que d’effets expressionnistes. Les soupirs en fin de phrase n’y changeront rien. Qui soupçonnerait un tel roi en proie au doute et à l’abattement ? Est-ce sur ce ton superbe et rogue qu’un renégat s’adresse à sa patrie retrouvée ? Imaginerait-on Don Quichotte, le chevalier à la triste figure mis en musique par Ibert, bomber le torse en évoquant sa Dulcinée, ou déclamer ses adieux à Sancho comme une déclaration de guerre ?
Puis surviennent les deux Méphistophélès – Boito et Gounod – et la caractérisation se met enfin au diapason de rôles où l’excès de testostérone n’est pas déconseillé, où la splendeur du timbre, l’orgueil du phrasé et l’arrogance de l’aigu sont atouts supplémentaires à porter au crédit d’une interprétation colossale et jouissive. La beauté du diable en quelque sorte, entrevue trop rapidement pour que le seul bis proposé à un public conquis – « Rojotango » – ne laisse un goût d’inachevé.