Miser sur des valeurs sûres pour compenser les coûts des nouvelles productions et créations, voilà comment on pourrait résumer ce début de saison au Metropolitan Opera. Les difficultés financières du Met expliquent cette stratégie, logique certes, mais assez paresseuse. Paresseuse, non pas parce qu’il serait honteusement banal de programmer La Bohème – tout le monde le fait –, mais parce que cette énième reprise de la production de Franco Zeffirelli, digne de rivaliser en longévité avec les comédies musicales plus bas sur Broadway, a perdu ce qui en avait fait un spectacle réellement grandiose. À en juger les applaudissements des spectateurs au lever du rideau du 2e acte, l’enthousiasme du public new-yorkais pour cette illustration d’un Paris fantasmé est demeuré intact.
Un rapide coup d’œil sur la captation de la création de 1982 avec José Carreras, Teresa Stratas et Renata Scotto montre une production habitée par la malice du metteur en scène et portée par la verve de James Levine. Si aujourd’hui les costumes et les décors restent spectaculaires, c’est la direction d’acteurs qui s’est considérablement appauvrie pour devenir cette caricature des productions dites traditionnelles. Les enfants, espiègles et moqueurs sont devenus ternes et sages, Musetta, alors sulfureuse et déjantée apparaît comme une mioche pourrie gâtée pas crédible pour un sou et Mimì est tour à tour niaise ou dépressive.
Malheureusement cette faiblesse théâtrale n’est pas compensée par une direction alerte. Au contraire, à trop vouloir surligner les couleurs de la partition, James Gaffigan, qui fait ses débuts au Met, finit par jouer trop fort et couvrir sans raison les chanteurs. On aurait voulu entendre, au lieu de cette lenteur contreproductive sur le plan dramatique, plus de tension et de légèreté. Pire, l’absence de vision d’ensemble réussit l’exploit de rendre ennuyeuse la scène du café Momus. Idem au 3e acte, pour le quatuor final, décousu et décevant.
© Marty Sohl/Metropolitan Opera
Heureusement, Vittorio Grigolo est un Rodolfo idéal qui domine sans peine la distribution par son émission puissante et son timbre éclatant. Le ténor italien, à qui on pardonnera une certaine tendance à s’appesantir sur ses pianissimi et à surjouer, offre un « Che gelida manina » remarquable d’intensité. Le public lui réserve un triomphe amplement mérité.
Après l’avoir chantée à Bastille et à Covent Garden la saison dernière, Nicole Car vient présenter sa Mimì à New York. Son interprétation ingénue de la cousette s’accorde mal avec son timbre sombre et dense, bien plus dramatique, et a du mal à dépasser la fosse. On aurait aimé plus d’abandon et de souplesse, notamment dans les aigus, un peu forcés et accentués par un vibrato très présent. En retrait dans « O soave fanciulla », Nicole Car gagne en puissance au cours des deux derniers actes pour livrer un final touchant. Elle faisait ses débuts au Met aux côtés de son mari Etienne Dupuis qui campe un Marcello jeune et fringant. Le Canadien peut compter sur des aigus faciles mais son timbre relativement clair l’empêche de réellement s’imposer dans les grands ensembles.
La Musetta de Susanna Phillips déçoit par son chant trop sage et aigrelet, dépouillé des minauderies qui font tout l’attrait du personnage. Javier Arrey est un Schaunard hilarant, qui prend plaisir à interpréter son personnage et démontre une vraie complicité avec le Colline bourru de Matthew Rose. Ce dernier aurait pu gagner à mettre plus de rondeur dans son « Vecchia zimarra » dont les intonations ne cessent de varier. Excellent comédien, Donald Maxwell vient agréablement compléter l’ensemble. Le choeur du Met assure une prestation solide de cette œuvre du répertoire.