Créée en 2007 au Royal Opera, la production de La Fille du Régiment due au talent de Laurent Pelly a fait le bonheur de nombreux théâtres dans le monde : Vienne, New York, Barcelone, Madrid, San Francisco et même Paris… La présente série en constitue la 3e reprise et on ne s’apesantira pas sur cette édition bien huilée, nettoyée de quelques scories (les allusions aux Jeux Olympiques de Londres qui n’avaient plus aucune signification passé 2012, surtout pour les non britanniques) et avec quelques gags discrets rajoutés.
© Tristram Kenton
Longtemps cheval de bataille de Juan Diego Flórez, Tonio est ici interprété par Javier Camarena qui en a fait son rôle fétiche. Le ténor est ici dans la plénitude de ses moyens. La voix est sonore, le timbre plus riche que celui de son confrère péruvien. Les aigus sont lancés avec une remarquable insolence et son air du premier acte, « aux neufs contre-ut », lui vaudra la plus grande ovation de la soirée. Ce triomphe est d’ailleurs rapidement suivi d’un bis tout aussi électrisant, une habitude chère au chanteur mexicain, presque une signature, mais une rareté en ces lieux (les spécialistes nous apprennent que le seul bis consenti sur cette scène après guerre le fut au cours d’une Norma dirigée par John Pritchard, avec Maria Callas et Ebe Stignani le 6 février 1957). Au-delà de ce remarquable exploit, le ténor n’agrémente pas particulièrement son rôle de suraigus supplémentaires. A l’exception d’un contre ré interpolé à la fin du premier acte, il en offre finalement moins qu’un Alfredo Kraus à près de 60 ans à l’Opéra-comique. L’air du second acte est l’autre grand moment de la soirée, chanté avec un legato parfait, une délicate musicalité, et couronné d’un contre-ut dièse sans effort. Dramatiquement, son Tonio est sympathique, un peu gauche, plus balourd que séducteur. On attend avec impatience les débuts à Bastille de cet artiste généreux, dans le rôle éprouvant d’Arturo d’I Puritani. Dans une production taillée sur mesure pour Natalie Dessay, Sabine Devieilhe est particulièrement convaincante comparée à la plupart des interprètes qui s’y sont succédées. Le personnage est tout simplement adorable, avec un brin de fragilité et de poésie que n’offrait pas la créatrice. La projection est toutefois un peu courte pour une salle de cette dimension, pourtant favorable aux voix. De la part de ce type de coloratura à la française, on attendrait davantage d’excentricités dans le registre suraigu, mais il faudra se contenter des notes traditionnelles et de quelques variations à la fin du « Salut à la France ». Le timbre est également insuffisamment corsé, avec un suraigu un brin acide. La leçon de musique est particulièrement réussie, le soprano chantant complètement faux son aria conduite par la marquise, puis revenant à la justesse pour ses répliques. Du grand art. Finalement, c’est dans les parties les plus élégiaques que l’interprète se révèle à son meilleur, avec un « Il faut partir » particulièrement émouvant. Pietro Spagnoli est un Sulpice truculent, bouffon sans excès, ne sacrifiant jamais la qualité du chant. Son français reste toutefois perfectible. Enkelejda Shkoza est une Marquise de Berkenfield de luxe : chant parfait, français excellent, interprétation juste, sans excès. Les seconds rôles sont excellement tenus. Dans cette production, le rôle de la Duchesse de Crakentorp a été développé par Agathe Mélinand. Il est ici interprété par l’actrice britannique Miranda Richardson, sans génie particulier. Aux blagues à deux balles de la complice de Laurent Pelly, on aurait préféré l’intervention d’une authentique chanteuse, comme se fut le cas ici même avec Kiri Te Kanawa, sans parler de l’exceptionnelle prestation viennoise de Montserrat Caballé. Les chœurs sont excellents et jouent remarquablement bien. A la tête d’un orchestre en pleine forme, Evelino Pidò offre une direction attentive et pétulante, joyeuse sans lourdeur. Une vraie fête.