On a souvent écrit que, pour monter Les Huguenots, il fallait absolument réunir sept interprètes exceptionnels. Pourtant, si l’ouvrage connut un succès planétaire, il est bien évident que tous les théâtres du monde ne pouvaient réunir de telles distributions, et beaucoup de représentations étaient le fait de troupes. Si l’on considère cette nouvelle production hongroise sous cet angle, il faut ici saluer une belle réussite, accueillie au rideau final par des applaudissements nourris, scandés en mesure.
Triomphatrice de la soirée, la Marguerite de Valois de Klára Kolonits est tout simplement époustouflante. Les contre-notes sont émises avec libéralité et une facilité déconcertantes. Les variations sont les plus imaginatives qu’il nous ait été donné d’entendre. Cette virtuosité est mise au service du personnage, et contribue à le rendre un peu plus frivole et décalé, comme l’est son projet de résoudre l’antagonisme religieux par un mariage mixte. Léger bémol, une articulation parfois un peu relâchée. En tous cas, le soprano confirme à la scène les qualités que nous avions appréciées dans son récital en CD. Gergely Boncsér fait davantage que tirer son épingle du jeu dans le rôle meurtrier de Raoul de Nangis : l’émission est un peu laryngée, quelques aigus et suraigus disparaissent, néanmoins le ténor assure crânement les parties les plus difficiles de son rôle. La romance initiale est chantée avec goût, le duo est plein d’allant, culminant au contre-ré bémol sans effort, avec une descente chromatique bien maîtrisée. Le jeune ténor trouve encore des ressources pour la scène de la Tour de Nesles qui suit, à l’acte V. La cabalette est toutefois écourtée et aménagée, avec un contre-ut au lieu de trois, mais le suraigu final est percutant. La langue française est plutôt bien articulée. Sa Valentine, Gabriella Létay Kiss est souvent à la peine, en particulier dans son duo avec Marcel à l’acte III, où l’aigu, plus ténu que tenu, lui reste dans la gorge. La soprano est plus à son aise dans les passages les plus élégiaques, comme son air de l’acte IV ou dans le grand duo de l’acte IV. Plutôt basse chantante que basse profonde, le Marcel de Gábor Bretz est impeccable de musicalité et dramatiquement convaincant, avec un français correct. Le Saint-Bris d’Antal Cseh est bien chantant, mais manque de la noirceur fanatique attendue. La prononciation est un peu exotique (« trahisonne » par exemple). En Urbain, Gabriella Balga fait preuve de la virtuosité et de l’abattage scénique nécessaire, composant un personnage crédible de jeune garçon. Zsolt Haja chante excellemment son Nevers, avec une belle musicalité et un certain raffinement, mais évite çà et là aigu ou grave en extrémité de tessiture. Le personnage est campé avec humanité.
Une des raisons pour lesquelles Les Huguenots sont difficiles à monter, réside dans une pléthore de seconds rôles et les difficultés qu’ils recèlent. C’est ici que la troupe de l’Opéra de Budapest montre sa richesse, la quinzaine de faux « petits rôles » étant parfaitement distribuée.
© Szilvia Csibi, Attila Nagy
Oliver von Dohnányi dirige cet ouvrage complexe avec métier, sans fulgurances particulières, travaillant à la cohésion des ensembles et au soutien des solistes, plus martial que poète. L’orchestre est de bonne qualité. Les coupures sont extrêmement nombreuses puisque l’ouvrage dure moins de trois heures, au lieu des quelque 3h45 et plus des représentations récentes : le duo de l’acte IV (le sommet de l’ouvrage) est amputé de ses premières minutes, puis plusieurs mesures sont coupées ici ou là ; le grand trio extatique de l’acte V (autre moment magnifique) disparait intégralement ; la plupart des reprises sont coupées, ce qui empêche la musique de s’installer dans l’esprit d’un spectateur qui la découvrirait ; une mesure par ci, deux autres par là, passent aux oubliettes, créant des hiatus dans les enchaînements. Un suraigu manquant laisse place à un silence du chanteur quand l’orchestre fait le point d’orgue. Pour l’auditeur qui connait l’ouvrage, toutes ces modifications nuisent à la fluidité et à la cohérence de la partition. Objectivement, ces coupures ne semblent pas avoir gêné le public, particulièrement enthousiaste. A l’inverse, on entend ici des passages rarement entendus, comme l’ensemble précédent le grand finale de l’acte IV recréé à Bruxelles.
Dans sa note d’intention, le metteur en scène János Szikora indique que les situations dramatiques de l’ouvrage ont suffisamment de similitudes avec l’actualité pour qu’il ne soit pas nécessaire de transposer l’action : à chaque spectateur de trouver en lui des résonances. La réalisation visuelle nous a néanmoins paru un peu fade. Les catholiques, sont en blanc et leurs atours sont plutôt baroques ; les protestants sont en noir, avec des costumes plus simples. Le décor est composé à partir de fausses toiles peintes (des reproductions de tableaux ou dessins de l’époque), et de gigantesques lettres exprimant l’ambiance de la scène : « Bacchus » pour l’acte I, « Amour » au II, ou encore « Remény » (Espoir), dont les lettres recombinées donneront à la fin « Merény » (Trahison). Le metteur en scène s’est davantage intéressé à régler l’action théâtrale et les interprètes sont plutôt naturels dans leur jeu.
La salle de l’opéra étant fermée pour d’importants travaux de rénovation, l’ouvrage était donné au Théâtre Erkel, éphémère « Opéra du Peuple » à son ouverture en 1911, et plus vaste salle de la ville mais à l’acoustique un peu lointaine.